Par Jean Escande
[Table des sujets traités] :
Aliments frelatés.
Menu d’ouvrières pauvres à Paris en 1908.
Manières de table.
Louis XIII ou le triomphe de la cuisine.
Auberges.
Faim et frairies militaires.
Les haricots à la graisse de cochon.
Au Temps des Classes.
Patates et châtaignes.
Menu du siège de Paris.
[Goûter à la cuisine de l’autre].
Incuriosité.
Capitaine Mercer.
Le cuisinier de Blücher.
La vie de bohème.
Notre ancêtre le bifteck.
Deux moments d’une vie.
[Louis-Sébastien Mercier, XVIIIes.].
[Comte de Dampmartin, émigré en Prusse].
L’onctuosité ecclésiastique.
[Un cocher sous Louis XV].
Dîners d’artistes.
Vigée-Lebrun et son souper grec.
Le boulot du patron.
Les gibelottes de la mère Ganne.
Manières de table.
Vogue de l’eau de vie.
Pain à discrétion.
Les soles de Champfleury.
Au soleil d’or et au lapin de Bercy.
Au temps de « l’Assommoir » : le Petit Louvres.
Le café des Pieds-Humides.
Invention de la pomme de terre soufflée (1835).
Tricheries et falsifications.
Jambon à louer.
Erzats d’escargots.
La maniotte.
Banquet de l’Association Sorézienne.
Eloge de la brandade.
Campagne avec vue sur une cuisine.
Au rendez-vous des brocanteurs.
La soupe au pistou.
Le thon en cocotte.
Les Merveilles.
Alexandrine des Echerolles.
Le dessert miroitant.
Les Douceurs Mystificatrices.
M. Ménier, chocolatier.
Maman Plaisir, marchande d’oublies.
Les grilleurs de marrons.
Le médecin aux côtelettes.
Les délices de la campagne.
La Faïencerie d’Onnaing.
Ports-Sujets.
Pots-cannettes ;
Notes éparses.
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ALIMENTS FRELATES.
Nos arrière-grands-parents avaient d’autant plus de mérite à faire de la bonne cuisine que les produits qu'on leur proposait étaient falsifiés. C'est devenu une espèce de lieu commun de considérer la fin du XIXe siècle comme un âge d'or culinaire : les restrictions des guerres de 14-18 et 39-45 sont pour beaucoup dans cette vision idyllique. Elle est pourtant fausse : jamais les fraudes alimentaires ne furent plus florissantes que dans les années 1870-1900. Elles n'avaient d'ailleurs pas attendu cette période pour s'épanouir, et dès l'antiquité on trouve des voyageurs empoisonnés dans quelque "trattoria" par de la morue blanchie à l'alun ou des poissons cuits dans du cuivre mal nettoyé. La période industrielle a favorisé la diffusion des produits nocifs. "Transportons-nous au laboratoire municipal de chimie installé depuis trois mois à la préfecture de police" écrit en 1881 A. de Balathier-Bragelonne (Le Voleur, du 27 mai). On y analyse les produits alimentaires soupçonnés de falsification. "Les résultats communiqués sont à faire dresser les cheveux sur la tête. Citons, par exemple, le lait : sur 12 échantillons, un bon et onze mauvais ; les confitures, neuf échantillons : un bon, huit mauvais. Quant au vin, cela devient plus grave. On croit avoir mal lu d'abord, mais les chiffres sont implacables : 133 échantillons. Bons, trois. Le reste mauvais. Ne serait-ce pas là le cas de rappeler le mot d'Alphonse Karr : "Si j'empoisonne mon épicier, j’attrape au moins les travaux forcés. Si mon épicier m'empoisonne, il a 40 francs d'amende". Le pis est que ces empoisonnements sont scientifiques. Il ne s'agit plus ici de couper le lait avec de l'eau et de la chaux, de mouiller le vin avec de l'eau teintée de bois de campêche. Il faut de véritables chimistes pour manier la fuschine, la strychnine, la coque du Levant, toutes substances qui non seulement délabrent l'estomac, mais attaquent le cerveau et portent à la folie. Et l'on s'étonne du développement que prennent les affections mentales et de la fréquence de tant de maladies à peine connues chez nos pères. Prenez-vous en aux épiciers, aux gargotiers, aux mastroquets, et surtout aux maîtres taverniers de brasseries et de caboulots."
Le même auteur raconte "un miracle analogue à celui des noces de Cana : la métamorphose de l'eau en lait : La gare des Batignolles a servi de théâtre l'autre matin à une aventure très pittoresque. On sait que les laitiers y attendent les convois de lait arrivant de la campagne ; mais ce qu'on ne sait pas, c'est que la cour de la gare est transformée par eux en une vaste salle de baptême. Une fontaine, à laquelle ils ont donné le nom de "Louise" voit défiler chaque matin une centaine de voitures, chargées de bidons remplis aux deux-tiers, qu'elle complète avec son eau claire. La gare étant dans Paris et le lait ayant été vérifié à son entrée dans la gare, nul danger pour les laitiers d'être pris. Des consommateurs ayant envoyé leur lait ainsi trempé d'eau au laboratoire municipal de la préfecture de police, le service de la sûreté, sur le rapport du directeur, organisa une surveillance des laitiers et découvrit leur fraude”. On organise une planque : des agents, cachés, assistent au baptême des bidons, présentés en série sur des voitures à bras... à la bienveillante "Louise”. Surpris, et les portes de la gare ayant été fermées, les laitiers renversent leurs bidons avant de s'enfuir transformant la cour en un immense lac blanc...
Du reste, si j'ai bonne mémoire, un conte d'Huysmans et un autre de Villiers de l'Isle-Adam, à la même époque, immortalisent les méfaits de la falsification alimentaire, en littérature. (Le Voleur n° 188, pages 350, 429, 430).
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Ah ! vrai, l'agréable métier,
Que le noble métier des armes :
Le diable, au fond d'un bénitier,
Trouverait, je crois, plus de charmes.
Doux navets, tendres haricots,
Bon pain noir, excellente eau claire,
Voilà le festin du héros.
chantait Emile Debraux dans les années qui suivirent la chute de l'Empire.
L'argot, naturellement, regorge de locutions qui embellissent le fait de se nourrir, comme diraient les structuralistes : la manducation, qui précède la réplétion, sont vigoureusement exprimées dans se taper la tête (qu'on trouve dans la Bonne Peinture de Marcel Aymé), se taper la cloche, s'en foutre plein la lampe, s'en coller jusqu'au nœud de la gorge, s'en faire péter la sous- ventrière, morfiler, bouffer, s'en foutre plein la gueule...
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MENU D’OUVRIERES PAUVRES EN 1908.
En face de ces menus mirifiques et que tant de nos contemporains ont tendance à appeler avec orgueil "la table de nos pères", comme si lesdits pères ne s'étaient nourris que de cailles qui leur étaient tombées toutes rôties dans la bouche, voici dans sa nudité, relevé par Ernest Laut dans sa chronique du Petit Journal (supplément illustré du 22 mars 1908) l'horrible vie d'une pauvre ouvrière qui doit bien être la grand-mère de quelqu'un en France : c'est tiré d'une enquête de l'Office du Travail sur le travail à domicile, à Paris, dans la lingerie.
"Mme V... veuve de 50 ans, vit et travaille avec sa fille âgée de 25 ans, laquelle est infirme des jambes. Ces deux femmes besognent 12 heures par jour toute l'année. Elles estiment en moyenne leur gain à 1 F. par jour pour elles deux, gain sur lequel elles prélèvent: 0 F. 35 de fil (une bobine et demie) et 0 F. 50 de pétrole (un litre par semaine). Elles reçoivent, du bureau de bienfaisance, 3 F. par mois et un supplément de 2 F. pour les six mois d'hiver.
Leurs recettes annuelles se montent à 413 F. En déduisant le fil et l'éclairage, il reste 380 F., dont 200 F. sont absorbés par le loyer (loyer relativement cher, mais ces ouvrières tiennent à rester dans leur quartier à cause du voisinage de l'entrepreneuse qui leur fournit du travail ; ne sortant jamais de chez elles, elles désirent être sur la rue), ce qui laisse disponible une somme de 180 F. pour la nourriture, le chauffage etc. Leurs dépenses d'alimentation s'élèvent à 177 F. 35, soit : un litre et demi de lait à 0 F. 25 (127 F. 75 par an), une livre de pain tous les deux jours (quelquefois des pommes de terre à la place) : 36 F. 50. Chauffage : 3 F 40 par mois pendant quatre mois : 13 F. 60.
Mme V... et sa fille prennent du lait parce qu'elles n'ont aucun appétit et qu'elles ne pourraient pas manger autre chose. "C'est d'ailleurs heureux, ajoutent-elles, puisque nous n'en aurions pas les moyens." S'il fait très froid, elles rognent sur le pain, achètent un peu de charbon et, par surcroît, travaillent couchées".
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LOUIS XIII OU LE TRIOMPHE DE LA CUISINE.
Epoque Louis XIII : on aime manger, et on aime en parler, de façon assez conventionnelle d'ailleurs. Je même que Caravage et ses suiveurs français, Jean de Boulogne, le Bourguignon, ont peint (Georges de La Tour) des bohémiennes et des catins qui ne doivent pas grand-chose à leur observation personnelle mais beaucoup à l'idée qu'ils se font de ces dames et de leurs mœurs, la poésie du temps chante le Melon, la Crevaille, les Goinfres, le Vin "qui rit dans la fougère" (c'est à dire dans un verre fait avec de la cendre de fougère, ne confondons pas), le Biscuit "véritable éperon à boire", tout comme le fromage d'ailleurs, persillé de bleu. La seule nourriture acceptable, on la voit sur les tableaux de Lubin Baugin ou de Louis Moillon : c'est un pâté en croûte dans lequel on a fait une large brèche, et qui montre son intérieur, ce pâté à la viande n'est rien d'autre que les coulibiacs russes, à la viande hachée ou au poisson. Nostalgique impénitent, Théophile Gautier, deux cent ans plus tard, qui ira jusqu'à pasticher si joliment le "Roman Comique" dans son "Capitaine Fracasse", ne dédaignera pas d'écrire de petits vers bachiques que Saint-Amant n'aurait pas reniés :
A Bacchus, biberon insigne,
Crions "Masse !" et chantons en chœur
"Vive le pur-sang de la vigne,
Qui sort des grappes qu'on trépigne !
Vive ce rubis en liqueur !"
Mais tout cela, vers de Saint-Amant, tableaux des Vanités, nous restitue-t-il vraiment l'impression de mangeaille de l'époque ? Pas plus que les poissons luisants sur du feuillage de Vlaminck ne restituent le XXe siècle. Il semble que tel tableau naïf de Stoskopff, au musée de Strasbourg, soit mieux accordé à la réalité : un Douanier Rousseau ne le renierait pas pour la saveur et la grâce, un bon documentaliste pour sa véracité. Une servante coiffée en anglaises relevées d'un ruban de feu enfile un gigot empapilloté sur une broche en fer, avec application : voilà qui nous tiendra mieux au corps que ces infernaux pâtés froids comme glace. Du reste les mémorialistes du temps, Scarron ou Tallemant des Réaux, ne nous laissent rien ignorer des modes culinaires en vogue sous Richelieu, Mazarin et autres rouges cardinaux.
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AUBERGES.
Henrica Van Tets est une charmante Hollandaise de 30 ans qui en 1819 voyage en France avec son mari. Couple riche, on s'en doute, et qui ne lésine pas pour ses plaisirs : simples, d'ailleurs, et innocents, qui préfigurent les goûts écologiques des Hollandais actuels (un peu envahissants) - promenades dans les Pyrénées, visite de sites pittoresques. Comme il y a beaucoup plus de renseignements sur les restaurants et tables d'hôtes parisiens que sur leurs homologues provinciaux, on suivra avec intérêt Henrica sur ce terrain peu connu. A Tarbes, dit-elle, "je m'étonne de trouver partout de si bonnes auberges. Il faut avoir éprouvé le besoin de se reposer dans un bon lit, de se restaurer à une table bien servie, pour savoir de quelle urgence est cet article. On est à cet égard très bien en France. L'auberge où nous nous trouvons en ce moment, située sur la grande place... est excellente, tant pour la bonne chère que pour les lits. Mais cet excès de propreté qui nous charma à Auch ne parait point régner ici. Il est vrai que cet hôtel est unique à tous égards et quoique la chère y est réellement délicate, on n'y paie pas plus qu’ailleurs..." Bon. Visiblement, Henrica n'est pas une gourmette, suivons là à Peyrehorade : "On ne put nous procurer du beurre, c'était la première fois que ceci nous arriva. Je mangeai d'excellentes fraises et framboises sur mon pain, et je m'aperçus que de cette manière on pouvait aisément se passer de beurre." Une écologiste, vous dis-je. A Bagnères, elle récidive. "Nous avions avec nous des cerises et du pain ; assis sur le gazon vis-à-vis de la cascade, je passai une heure fort agréable". Cependant, ces dinettes sont relevées de repas plus substantiels : "De retour à l'auberge, nous y trouvâmes un bon déjeuner honoré du nom de diner : il consistait en jambon, omelette, truites, pain et beurre." Tout à fait ce qu'on mange de nos jours à l'impromptu dans un restaurant pyrénéen. A Béziers, Henrica se plaint : "Nous y déjeunâmes, et jamais sans doute déjeuner ne fut plus cher. Nous eûmes six côtelettes, des fraises, du café, deux tasses de café, deux œufs, une omelette ; le prix fut 18 francs." Nulle part, on le voit, un plat spécifiquement régional n'est noté. Il est vrai qu'Henrica est plus curieuse de statues ou de monuments antiques, sur lesquels elle s'étale tout au long - que de nourritures terrestres. A Sète, "l'auberge ne paie pas de mine, mais on nous y servit un excellent diner en poissons, parmi lesquels un turbot à la sauce d'huitres et de câpres qui était délicieux. J'y mangeai aussi, pour la première fois, un petit poisson dont on m'avait déjà vanté souvent l'excellence en France où on lui donne le surnom de perdreau de mer : on l'appelle généralement rouget, et je n'y trouvai rien d’extraordinaire. Enfin à Auberive, sur la route de Lyon, pendant une panne de voiture (les voitures à chevaux ayant des pannes tout comme les nôtres, et aussi fréquentes) seul le repas éclaire un peu une journée de poisse : Nous avions de bonnes pommes de terre, du lard et une omelette, ce qui assaisonné de la meilleure des sauces, un appétit dévorant, ne laissa pas de nous paraitre un bon diner”.
Certains mondains portent toute leur fortune sur eux, ou dans leur voiture, et n’ont littéralement rien à manger, c'est vrai de tout temps. Madame du Montet peint une mondaine de ce genre qu'elle a bien connue à Vienne, Aurore de Marassé, une émigrée. "Aurore n'avait pas le sou et tout le monde le savait ; on ne comprenait pas comment elle vivait, lorsque ses protectrices, les princesses de Courlande qui la nourrissaient, quittaient Vienne ; mais je sais bien qu'un matin elle entra chez moi, pâle, défaite, anéantie, me priant en grâce de lui faire donner au plus vite un bouillon, parce qu'elle n'avait rien pris depuis le départ de la princesse de Sagan. Il y avait 24 heures que celle-ci était partie. Je me hâtai d'accéder à son désir ; elle pleura, me parla avec désespoir de sa déplorable situation. Le soir je la vis à une grande soirée chez le prince de Rasoumoffsky, elle était sémillante".
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FAIM ET FRAIRIES MILITAIRES.
Les haricots à la graisse de cochon.
Pendant la retraite de Russie, de sinistre mémoire, les soldats qui arrivent encore à arquer, mangent "un petit morceau de dada sur le pouce", font des "fristouilles à la neige", des "sorbets au sang de cheval" et autres horreurs ; ils salent les morceaux de foie et de cœur qu'ils arrivent à arracher des carcasses gelées avec la poudre d'une cartouche - id est : du salpêtre - et naturellement ceux qui résistent le mieux sont ceux qui ont le cœur, le leur, le mieux accroché et le plus décidé à rentrer en France... Sur la route de Kowno, le sergent Bourgogne, des Grenadiers de la Garde, fils d'un honnête commerçant en draps de Pérulwez (Nord) rencontre, mourant de faim comme lui, le soldat Faloppa qu'il a eu sous ses ordres en Espagne. Celui-ci lui rappelle une recette peu ordinaire, les haricots à la graisse de voleur. Recette qui aurait enchanté Dali, qui peignit des Paysages aux haricots cuits. Elle est difficile à rééditer, bien que sa singularité même la désigne comme un des plus beaux fleurons d'un livre de cuisine qui s'est juré de tout dire.
Bourgogne p. 268 : "Un jour que nous... à la maison du bourreau 270"
Sous la Révolution encore la graisse humaine était fort recherchée par la pharmacopée populaire. "Vers 1830, Balzac écrivant les Mémoire de Sanson, le fameux bourreau qui avait fait la terrible besogne de 1793, était de ce fait en rapports constants avec sa famille qui habitait rue Albouy. Or il raconte que les gens du quartier et même de quartiers éloignés venaient sans cesse demander à acheter de la graisse de pendu ou de guillotiné. Les aides du bourreau leur vendaient consciencieusement du saindoux provenant de la charcuterie voisine, mais qu'ils avaient soin de renfermer dans des pots recouverts de papier rouge." (Ernest Laut : Médicaments du temps passé, Supp. III du Petit Journal 27 Sept. 1908).
J'ai sous les yeux une lettre d'Emilie Portocarrero, dame noble retirée au presbytère de Viterbe (Tarn) au citoyen Moret apothicaire de Lavaur : c'est un onguent : il faut un quart de graisse humaine, 2 onces de graisse de blaireau, 2 livres de graisse de cheval, 3 onces d’huile de camomille, 3 onces d'huile d'aspic et 2 morceaux de sauge. Il faut faire bouillir le tout pendant un quart d'heure. "J'ai vu des effets merveilleux de ce remède pour les douleurs, nerfs retirés etc.." écrit la bonne dame, qui doit son certificat de civisme, en 1792, au bien qu'elle fait aux pauvres de sa commune.
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Au temps des classes.
Xavier Vernère, comme beaucoup de gens de sa génération, dont le légendaire Coignet, est un pauvre enfant pratiquement abandonné par ses parents : à 16 ans, en 1790, il s'engage, à Tours, dans le régiment d'Anjou-infanterie où il possède un oncle compatissant, sous-officier. Vernère trouvera dans l'armée une famille et fera toutes les guerres de la Révolution et de l'Empire, qu'il terminera colonel. Il nous a laissé, de son premier séjour, la description émerveillée d'un enfant qui n'avait pas toujours mangé à sa faim dans son enfance.
"Debout autour d'une table avec douze ou quinze soldats, je trouvais charmant d'assaillir à mon tour une grande gamelle pleine de bonne soupe, jusqu'à ce que les attaques réitérées de nos impitoyables cuillères l'eussent mise hors d'état d'en soutenir la continuation; après cela, toujours dans la même attitude, je trouvais charmant de manger, sans avoir besoin ni d'assiettes ni de fourchettes, ni d'autres ustenciles, un bon gros chiffon de pain de munition accompagné d'un morceau d'excellent bouilli sous le nom de portion et, par là-dessus, un coup d'eau claire et limpide, bu dans la cruche commune placée sous la table du banquet. Je n'aurais pas changé ce repas pour le plus succulent qu'on aurait voulu me faire faire.
Et il se renouvelait deux fois par jour ; à 10 heures du matin et à 4 heures du soir, indépendamment du déjeuner, qui se composait d'un excellent morceau de pain de munition, sans accompagnement. »
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Patates et Châtaignes.
Deux ans plus tard, un volontaire de 1792 nous donne ses impressions sur le menu militaire ; Paul Thiébault, d'une tout autre extraction sociale que Xavier Vernère : le père de Paul est Dieudonné Thiébault, ancien bibliothécaire de Frédéric II et bourgeois en vue, aux idées avancées. Son fils s'est pourtant engagé par peur de l'anarchie qui règne à Paris. Il spécifie bien : sans la moindre vocation. Il finira général d'Empire et écrira ses Mémoires en 2500 pages, plus différents autres ouvrages techniques qui, comme le Guide d'Etat-major, en font un classique. Qu'aurait-ce été si Thiébault avait aimé l'armée ! Le voilà au Camp de l'Epine, à Chalons, en automne 1792, après une nuit passée sous des torrents de pluie.
« Dès le lendemain, je fus au régime de la gamelle et du pain de munition, et je commençai, comme disent les soldats, par empoigner les corvées : aller à l'eau, faire la soupe. Ma première soupe fut la dernière ; elle était exécrable, et on décida que cette corvée serait réservée aux plus gourmands, qui n'en feraient pas d'autres ; celui qui trouvait tout bon et rien mauvais était jugé indigne de cuisiner. J'y gagnai de manger la soupe bonne et d'échapper au dégoût de la faire. Toutefois, au premier de ces repas terriblement champêtres je perdis un bon tiers de la portion qui me revenait légitimement. J'ai toujours détesté de manger trop chaud, et il y a des hommes qui, comme disent les soldats, ont la "gueule pavée". Or chacun ayant des cuillers égales, prenant sa cuillérée de soupe à tour de rôle et par un mouvement qui s'établit comme celui des batteurs en grange, pendant que je soufflais encore sur ma première cuillérée, mes voraces camarades avalaient la seconde, de sorte que je n'évitais de perdre quelques tours qu'en me brûlant le palais, l'estomac et les entrailles. Dès le lendemain j'eus une grande soucoupe dans laquelle je déposais mes cuillers de soupe, pour les manger ensuite à mon aise.
J'ai toujours eu la plus grande indifférence pour ce que je mangeais, et une telle impatience de m'en occuper que, quand j'étais seul à diner chez Robert, je commandais éternellement les mêmes choses : riz à la purée, bifteck aux pommes de terre, saumon aux câpres, omelette soufflée, biscuit à la crème. Le garçon qui d'habitude me servait, riait. Cette prédisposition me servit à l'armée, où on n'a pas le loisir de varier les menus ».
Les renseignements du général sont précieux : ils nous montrent, dès avant la Révolution, le bifteck aux pommes de terre comme un plat courant de restaurant parisien.
Le ravitaillement n’arrive pas facilement aux troupes en ligne. Fin 1794, en Hollande, sous la neige et la glace qui recouvrent le fort Saint-André bombardé, Thiébault raconte :
« Quelque rigoureux que fut le froid, ce dont nous souffrîmes le plus fut la faim. L’impossibilité de faire suivre la digue aux chariots de vivres, les obstacles que les convois rencontrèrent en l'évitant, firent que nous restâmes 24 heures sans subsistances. Je ne sais ce que nous serions devenus, sans quelques amas de pommes de terre que nous découvrîmes et qui, cuites dans l'eau sans beurre, sans sel et sans pain, furent pendant deux jours notre unique aliment. Un énorme chaudron de pommes de terre était toujours sur le seul feu que nous eussions pour nous tous. Quand elles étaient cuites, on en prévenait à haute voix, et nous allions tous en prendre notre part, après en avoir envoyé aux officiers de service ; lorsque le chaudron était vide, on le remplissait de nouveau. »
Encore les tirailleurs de Thiébault ont-ils des pommes de terre... En 1799, Putigny bivouaque dans les "Montagnes de la Faim, sous les châtaigniers, entre la Chiusa et Poverano", pour une "délicieuse villégiature de trois mois ».
« Le ravitaillement n'arrive de France qu’à grand peine, par des cols seulement praticables aux animaux de bât. Nous sommes beaux à voir, hâves, les joues creuses, assis en rond dans une clairière comme une bande de voleurs de chevaux, surveillant la cuisson de notre unique nourriture : les châtaignes. C'est bon, mais ça bourre ; de plus ces saletés nous font enfler le cou, le rendent douloureux. Malgré cela nous nous levons dès le potron-minet pour ramasser toutes les châtaignes tombées pendant la nuit. Puis chacun ouvre sa musette, dénombre son butin, le met à bouillir dans la marmite commune. Il en retire bien exactement la même quantité qui constituera tous les repas de la journée. A ce petit jeu j'ai encore de la chance et découvre les miennes comme un cochon des truffes. Mais les paresseux du matin sont réduits à jeûner tels les enfants d'Israël levés trop tard après la manne. Avec tout cela, on se bat tous les jours contre les Autrichiens et le régiment de Putigny se retrouve à Garesio, au bord des Apennins, "gros-jean comme devant avec notre provision de châtaignes réquisitionnées dans le village. "Faites sécher les châtaignes ; battez les pour éclater la peau. Vous pourrez les conserver ou les cuire avec du lait de chèvre, du vin, de l'eau, suivant vos goûts et vos moyens. Je finis d'assimiler cette recette locale sous le feu meurtrier de l'artillerie autrichienne"...
Le bataillon passe Noël au sommet du Mont Saint-Bernard, dans une chapelle délabrée, se contentant "de chétives broussailles pour nous chauffer dehors et faire cuire des racines que d’aucuns, plus expéditifs, mâchent toutes crues. On nous donne très rarement une minuscule portion de riz et du pain répugnant. Je n'exagère rien ; c'est le régime ordinaire de l'armée d'Italie dans les Apennins. Aussi je me souviendrai longtemps d'une attribution exceptionnelle que je dois ramener d'un village à une lieue de nous : cinq pains de munition ! Le préposé à la distribution m'en compte six par erreur !... quel charmant homme ! Je confisque le pain supplémentaire qui est de bonne prise et, caché derrière un rocher comme une bête, je m'en empiffre à la file une livre et demie. Mon estomac, sans doute rétréci, refuse le reste qui sert à tailler une soupe commune, vraiment inespérée".
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Les mœurs militaires n'évoluent pas : en 1959, je faisais partie, à la Compagnie Saharienne Portée du Touat, du 2e peloton de reconnaissance, qui, pris en pointe dans une vaste opération, roulait depuis des jours très loin de sa base à la poursuite d'une bande de fellaghas qu'il n'atteignit jamais. Sans être aussi épouvantables que les conditions de vie des grenadiers de 1799 dans les Apennins, celles du 2e peloton de la C.S.P.T. étaient fort mauvaises, et le Sahara ne distribue même pas de châtaignes... Toute la nourriture des huit Européens (avec 32 Arabes) tenait dans un coffre à grenades, en bois, à l'arrière d'une des jeeps. C'étaient des paquets de pain de guerre qui dataient au moins de la guerre d'Indochine, sept ou huit ans auparavant, qu'on mettait à tremper dans l'eau chaude des guerbas (outres en peau de bouc) pour pouvoir l'avaler, sous forme de bouillie blanchâtre et sans goût. On avait droit aussi à une boite de sardines à l'huile et un oignon par jour. Arrivé, au terme de cette course-poursuite idiote qui durait depuis des jours, au bordj Clavery, à Béni-Abbés, je fus chargé de faire la cuisine, c'est à dire d'aller chercher un paquet de pain de guerre, un oignon et une boite de sardines pour chacun. Or dans le coffre roulaient de vieilles boites de conserve auxquelles des milliers de kilomètres avaient fait perdre toute indication de marque. J'en pris une au hasard, et me dissimulant dans un coin de dune, je l’ouvris à la pointe du couteau. C'était une boite de prunes au jus, de cinq kilos ! On me croira si on veut : je la mangeais toute entière.
Menu du Siège de Paris (1870-1871).
"Le gouvernement avait, par voie d'affiches, engagé les Parisiens à faire leurs provisions. Mais les Parisiens n'en avaient rien fait. Ils continuaient à être légers, insouciants, ils ne croyaient pas au siège... Ils disaient : "Bismarck n'osera pas investir ni bombarder Paris". Mais quand l'investissement fut un fait accompli, quand la viande et les légumes commencèrent à manquer, il fallut déchanter.
Alors, on se précipita chez les épiciers et les marchands de comestibles. On vida les magasins. On achetait des jambons, des boites de sardines, des confitures. Les belles dames allaient aux provisions comme à une partie de plaisir : elles emplissaient leurs coupés de victuailles. Elles faisaient cela par genre, gaîment, avec le petit air peu convaincu de personnes qui ne croient pas à l'utilité de ce qu'elles font, mais qui le font tout de même parce que c'est de bon ton.
Et puis, comme s'il se fut agi de narguer les Prussiens, on mit, au début du blocus une espèce de gloriole à manger copieusement et à faire bonne chère. Sarcey a noté le fait dans son petit livre sur le Siège de Paris : "Il se produisit, dit-il, un phénomène bien curieux, et qui serait difficile à croire si nous ne l'avions tous constaté : c'est l'appétit dévorant dont Paris fut sur le champ saisi. Jamais il n'avait fait si faim dans la grande ville... Aussitôt le siège commencé nous entendîmes tous nos entrailles crier d'une étrange manière... Tel qui déjeunait de deux œufs sur le plat et d'un morceau de fromage, ne voulait plus se contenter à moins d'un bifteck saignant, arrosé d'une bouteille de Bordeaux. L'estomac parlait-il plus haut ? L'écoutait-on davantage ? Grave question que je laisse à résoudre aux moralistes? Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en prévision des jours d'abstinence forcée, chacun s'appliquait à manger plus et mieux. La chère était plus abondante et plus délicate. Il semblait qu'on se dit à part soi : autant de pris sur l'ennemi encore un que les Prussiens n'auront pas"...
Et, comme conséquence de cet état d'esprit, on s'offrait, dans la classe aisée, le plaisir d'inviter ses amis à diner à tout propos. Jamais il n'y eut à Paris plus de diners fins qu'au commencement du siège. On se plaisait à faire bonne chère en parlant, avec scepticisme, de la famine prochaine.
Elle vint pourtant, la famine, et l'on eût alors tout loisir de regretter les gaspillages passés. Bientôt, la viande de boucherie fit complètement défaut, et les légumes devinrent plus rares encore que la viande.
Un de mes vieux amis, l'avocat Henri Dabot qui passa à Paris toute la période du siège et fixa dans des notes fort intéressantes ses impressions et ses remarques au jour le jour, rapporte que le 12 Octobre, 25e jour du siège, il lui fallut manger du cheval pour la première fois.
"Ce cheval, dit-il, avait été mortifié plus de 36 heures, puis cuit tout à la douce, avec foison de poivre, sel, clous de girofles et inondation de vin blanc".
Et il signale une brochure fort curieuse, à présent introuvable : « La cuisine des assiégés ou l'art de vivre en temps de siège » (Laporte, éditeur) par une femme de ménage, cordon bleu. Cette brochure donne la recette du cheval-mode et aussi la recette pour accommoder le chien... Avis à ceux qui caressent en ce moment le projet baroque d'employer la viande canine dans l'alimentation... La brochure sur l'art de vivre en temps de siège recommande, quant au chien, de le mortifier pendant 4 jours et de le battre vigoureusement pour l’attendrir... Pauvre chien !...
Cependant, il fallut bientôt rationner le public. Et le prix de la vie augmenta dans d'invraisemblables proportions. Voulez-vous quelques chiffres ? Dans la première semaine de novembre, on payait aux Halles une oie de 25 à 30 francs, un poulet de 14 à 15 F. Sarcey rapporte qu'il y vit vendre une paire de poulets maigres 25 F. et une paire de pigeons 12 F. Quant aux dindes, elles sont fort rares. On en vend une 53 F. En temps ordinaire, elle eût valu 10 francs. Les lapins sont plus communs, mais leur valeur n'en a pas moins haussé la paire 36 F.; ils auraient valu avant le siège, dans les 6 à 7 F.
La viande fumée et la charcuterie sont hors de prix. Le jambon fumé est vendu 16 F. le kilo ; le saucisson de Lyon 32 F. Le prix normal du premier était avant le siège de 2 F. 50, et celui du second de 8 F. le kilo.
Il est vrai qu'on a à volonté du saucisson de bœuf et de cheval à 4 et 6 F. le kilo, et même du boudin fait avec du sang de bœuf ou de cheval et dont on peut se régaler à raison de 1 F. 80 le kilo.
Par exemple, il ne faut plus songer à manger du poisson de mer. La marée n'arrive plus et pour cause, mais heureusement les Vatel parisiens ne se passent pas pour cela leur broche à travers le corps. Le poisson d'eau douce leur reste. Il est rare et cher d'ailleurs. Une carpe qui eût valu naguère cinquante sous se vend vingt francs, et la plus modeste friture de Seine monte à 5 et 6 francs.
Les légumes sont inabordables. Le boisseau de pommes de terre qui coûtait un franc avant la guerre est à 6 dans les premiers jours de novembre, et son prix va sans cesse augmentant. Un chou-fleur se paie dans les trois francs, une botte de carottes 3 F. 50. Henri Dabot note que le 12 novembre les choux valent 4 F. la pièce. Il a vu vendre aussi des rats à la Halle : 60 centimes le rat... "Bientôt, dit-il, ils vaudront aussi cher que les rats d'Opéra".
Le beurre... Il faut être un nabab pour en consommer. On l'a vu vendre jusqu'à 45 F. le kilo à des restaurateurs en renom. L'huile a moins augmenté : le prix en a triplé seulement. Quant à la graisse, et quelle graisse !... On ne la vend pas moins de 4 F. le kilo "Un diner sans fromage est une belle qui n'a qu'un œil" dit Brillat-Savarin. Hélas ! Que de diners furent alors sans fromage ! Roquefort, gruyère, brie, hollande avaient été enlevés dès les premiers jours du siège. On n'en eût pas trouvé le plus petit morceau même au poids de l'or. Un morceau de fromage, c'était le plus rare cadeau qu'on put faire à ses amis.
Dans son Journal d'une Parisienne, Mme Adam raconte à la date du 22 Novembre : "M. Cernuschi est venu diner un peu tard pour jouir d'un succès dont il était certain. Il avait apporté du fromage. Aucun de nous n'en avait mangé depuis un mois. Nous n’avions pas attendu M. Cernuschi pour nous mettre à table, et le voyant arriver avec sa tête de mort et l'entendant prononcer ces mots ! "Elle est à vous"... nous nous sommes levés et l'avons embrassé..."
Il fallait être archimillionnaire comme l'était M. Cernuschi pour se permettre alors de faire de pareils cadeaux.
Voici à quels prix on pouvait encore se nourrir à Paris au mois de novembre 1870. Mais en décembre la vie devint de plus en plus difficile. Le pain commença à manquer. Et bientôt, la farine faisant défaut, il fallut en faire avec des matières qui n'avaient rien de commun avec le blé ni même le son. Jusque dans les premiers jours de janvier, cependant, on mangea d'un pain bis assez appétissant, mais après !... "Le pain que nous avons mangé dans les derniers jours du siège, dit Sarcey, était un composé noirâtre et gluant, de choses innomées, où il entrait de tout... Il n'est pas un de nous qui n'en ait gardé un morceau comme échantillon en souvenir du blocus. Quand on pense qu'il y avait bien la moitié de la population qui ne mangeait pas autre chose que cette pâte grumeleuse et lourde !"
A la date du 1er février, Henri Dabot écrit : "J'ai (ce que je n'ai jamais fait) jeté au feu un morceau de pain, tant il était mauvais. J'ai préféré le détruire plutôt que de le donner et d'exposer un pauvre diable à être malade. J'étais sûr à l’avance qu'aucun animal n'en aurait voulu."
Et quelques jours après, il raconte que, s'étant assis près d'un monsieur bien mis sur un banc de la place du Châtelet, il vit tout à coup son voisin pris de vomissements atroces. Et cet homme lui dit : "Ne me prenez pas pour un ivrogne, mais j'ai tant souffert pendant le siège ! Mon estomac ne peut supporter le soupçon de jambon que j'ai mangé à mon diner". Ernest Laut : Menus de Siège. Supp. Illustré du Petit Journal, 12 Décembre 1909.
[Goûter à la cuisine de l’autre].
A titre de consolation, chaque guerre apporte son plat nouveau, qui enrichit notre cuisine. Si les Parisiens d'après 1870 parlent volontiers de Choucroutman pour désigner le Prusco, le maudit Prussien à casque à pointe, ce n'est certes pas pour lui emprunter ce qu'on suppose être son mets favori, sa nourriture de prédilection. Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et des mœurs plus uniformisées par deux vastes massacres européens pour que la choucroute garnie entre véritablement dans le cadre de nos mœurs. Il aurait été impensable il y a encore quelques années, d'imaginer sur une table de la France méridionale une choucroute aujourd'hui banale. Pourtant ces acceptations culinaires en dénotent de souvent plus profondes : on veut bien goûter au voisin, voir de quoi il est fait... La fin de la guerre d'Algérie, de même que le retour des Pieds Noirs, a amené sur nos tables le couscous, plus ou moins tarabiscoté, plus ou moins parisianisé, dénaturé... Les pieds noirs de Saint-Germain des Prés se sont hâtés de présenter un couscous à la mesure des gosiers du VIe arrondissement. C'est pourtant déjà quelque chose. Accepter de manger la cuisine de quelqu'un, c'est déjà ne pas le rejeter carrément dans la masse des objets, c'est le reconnaître comme un être humain, un nourrisseur... Comme on dit populairement : "je n'avale pas n'importe quoi". Manger du couscous, de la choucroute, témoigne à la base d'une bonne volonté certaine : pour un peu on toucherait, mais oui, vraiment, ce raton, ce boche, pour s'apercevoir qu'ils ne sont, après tout, que des humains à peu près comme les autres. L'acceptation culinaire est un facteur de civilisation. Je plains les gens incurieux de la cuisine des autres : il leur manque une dimension, celle de l'amabilité, de la discussion. Le fait de vouloir être aimé à travers sa cuisine est tellement vrai que chez nous, Français, peuple hautement civilisé en la matière, les diplomates ont toujours cherché à charmer leur interlocuteur, voire leur adversaire, par les joies de la table. Combien de millions d'indemnités nous a épargné de verser Talleyrand au Congrès de Vienne ! Combien il a plus fait avec les sauces géniales de Carême le mal nommé pour endormir la haine de tous ces Prussiens, ces Anglais, ces Russes, que Napoléon avec ses batteries de cent quarante canons! Combien j'admire plus Louis XI d'avoir chassé benoitement un imbécile reitre anglais en le grisant, lui et ses troupes, plutôt que de lui avoir opposé un Du Guesclin ! C'est moins cher et ça fait moins de morts.
Incuriosité.
Sans ce réfectoire de l'E.M.A.T.- A.F.N. de Ben Aknoun, près d'Alger (une école de Transmissions) on servit un jour de l'automne-hiver de 1959 un plat d'aubergines farcies : c'est à dire des aubergines coupées en deux, creusées, et bourrées de chair à saucisse, avec des rondelles de tomates et des oignons, le tout passé au four et cuit à l'huile d'olives. Plat typiquement méditerranéen qui se mange de l'Espagne à la Grèce, en passant par le midi de la France, l'Italie, la Turquie, l'Afrique du Nord... La nourriture était d'ordinaire ignoble à l'Emat de Ben Aknoun, sauf ce jour-là : les aubergines farcies étaient délicieuses. Pourtant aucun de mes camarades du Nord, qui s'appelaient tous Vandeputte ou Vanderkroum, n'y toucha : pour eux c'était dégueulace, cette peau violette, ces rondelles rouges, le tout luisant d'huile ! Ils demandaient, méfiants :
- Qu'est-ce que c'est, des aubergines ?
Ils n'en avaient jamais vu, et se gardaient précieusement, d'y goûter. Plus tard un de mes beaux-frères, né à Champigny (Seine et Marne) me raconta qu'en 1941, il crevait de faim chez un paysan du Gers, où lui et quelques autres Parisiens étaient allés pratiquer le retour à la terre, de maréchalesque mémoire.
- Il fallait qu'on se fasse à bouffer, et le paysan nous avait donné des cous d'oie, tu te rends compte !
Visiblement, le paysan avait voulu leur faire plaisir mais les jeunes gens avaient cru qu'il se moquait d'eux.
- Des cous d'oie, dans un bocal de graisse... On a essayé de les bouffer et on a tout jeté, graisse et cous ! C’était infect !
Ces jeunes gens, qui avaient 17 ans, auraient pu se renseigner près du fermier : ils auraient appris que les cous d'oie ne se mangent pas comme ça, sortis du bocal de graisse : on met des haricots à tremper toute une nuit, puis on les fait bouillir, et après une première eau on les met à cuire avec des gousses d'ail, des oignons, du thym, du sel, pendant deux heures à mijoter avec les fameux cous d'oie, qui ne sont pas, comme le pense toujours mon beau-frère seine-et-marnois, une dégueulacerie destinée à emmerder les pauvres Parigots perdus dans un Gers hostile. Encore faudrait-il essayer de comprendre ce qu'on a sous la main pour le manger, et non rêver à un bifteck-frites standardisé sur toute la planète, ou le triomphe du fast-food.
Du reste les interdits alimentaires, tout comme les interdits sexuels, sont absolument incompréhensibles pour qui ne les pratique pas. Les gens les plus arriérés des campagnes sont, à les entendre, d'une extrême délicatesse pour tout ce qui touche leur manger. Un vieux Kroumir de mon village revenait il y a quelques années de rendre visite à sa fille, hospitalisée pour maladie imaginaire dans un centre psychiatrique proche (qui regorge, d'ailleurs, de postulantes, toutes plus dingues et désoccupées les unes que les autres, et de milieux, j'aime autant vous dire, peu reluisants). Nous lui demandons, avec notre longanimité coutumière, comment se porte sa putain de fille.
- Bien, nous dit-il. Oh pour ça elle est bien soignée. Et c'est propre, allons, c'est agréaple (dans le Tarn, on met partout des P à la place des B, c'est plus chic). Mais alors, la nourriture, nous dit-il en se détournant pour cracher ostensiblement à dix pas, pouah !
On sait ce qu'on mange dans ces usines à dingues, d'ailleurs remboursées à fond la caisse par la Sécurité Sociale : des légumes cuits à l'eau, du veau juste un peu rôti, de la salade cuite, des chaussons aux pommes, c'est pâlot si on veut, mais ça ne mérite en aucun cas un pouah ! Surtout quand celui qui le pousse, comme nous pouvions hélas le constater tous les jours, se nourrissait de toutes les langues de bœufs qui crevaient à vingt kilomètres à la ronde, et de sales patates bouillies dont les cochons se reculaient avec une colère mal dissimulée ! Mais tel était pour ce vieux kroumir et sa délicate famille la nourriture impeccaple, mise au point par des générations de vieux kroumirisants ! Langue de bœuf bouillie et patates gelées... C'était notre tour de dire pouah !
*
[Capitaine Mercer] .
En 1815, le capitaine Mercer, en occupation à Colombes, près de Paris, alors village champêtre où l'on faisait, ô merveille - des vendanges et des moissons, note dans son journal : "La nourriture des gens du village parait peu convenir au dur travail qui est leur lot. Un pain noir, grossier et toujours infernalement aigre, un morceau de fromage sans goût et sec composent le déjeuner habituel et le diner, parfais avec l'addition de haricots ou de quelque autre légume. Pour le souper, un potage aux herbes auquel on ajoute quelquefois pour le renforcer et lui donner du goût, un morceau de lard ou un peu de graisse. Leur breuvage est une sorte de vin du pays très aigre et très inférieur au bon cidre de nos comtés à pommes de Hereford et du Devon. On peut se procurer dans les cabarets une bière légère mais agréable. La bonne double bière de Mars est d'une qualité supérieure et, mise en bouteille offre une boisson plaisante par temps chaud." Tout à fait curieusement pour nous, Mercer décrit complaisamment le goût des Français de l'Empire pour la bière : n'oublions pas que tout au long du XIXe siècle et jusqu’en 1914 bien des villes méridionales avaient chacune trois ou quatre brasseries ! Celles De Toulouse, de Carcassonne, de Castres, souvent montées après 1870 par des Alsaciens-Lorrains réfugiés, étaient célèbre. J'ai une collection de bouteilles à bouchon de porcelaine des brasseries castraises ou mazamétaines : c'est à qui rivalisera de forme, d'inscriptions en ovale, de jolis verres bruns, verts clair, verts foncés. Voire noirs. Tout cela a complètement disparu. La Bonne Bière de Mars jouait sur une équivoque : Mars mois de la bière et Mars dieu de la guerre. Sous la Restauration, dit une anecdote, controuvée mais spirituelle (il était déjà question dans l'esprit populaire de rapatrier le corps de Napoléon 1er) raconte qu'un cabaretier ayant intitulé son bouchon "Au tombeau du Grand Homme", la police royale le lui fit effacer. Il l'intitula alors : "A la Bière de Mars"... Si ce n'est pas vrai, c'est bien dans le ton des loustics de l'époque.
"Mars est pour leurs brasseurs ce qu'est octobre pour les nôtres. On pourrait supposer que cette bière de Mars est exclusivement militaire (à cause du nom, je suppose) d'après les nombreuses gravures coloriées collées sur les volets de nombreux cabarets et montrant des officiers et des soldats en train de verser ou de boire cette liqueur favorite. Les plus communes représentent deux officiers en grande tenue, chapeau à plumes, épée au côté, bottes éperonnées, assis à une petite table ronde. Chacun tient dans la main droite une bouteille débouchée, dans la gauche, un gobelet ; la bière s'élève en jet des deux bouteilles formant des arcs qui se croisent et se terminent dans le verre opposé". Ce Mercer, quel œil ! Quel journaliste !
Le cuisinier de Blücher.
« Il vient de mourir, rue du Pot-de-Fer Saint-Marcel, quartier Mouffetard, à l’âge de 96 ans, un homme qui a eu autrefois une heure de célébrité.
Il se nommait Cazeneuve, et en 1815, lors du blocus de Paris par les armées alliées, il était chef de cuisine du général prussien Blücher, qui, après la signature du traité de paix, l'emmena à Berlin pour en faire son maître d'hôtel.
En 1825, Cazeneuve, désirant assister au sacre de Charles X, son ancien maître, vint à Paris. Ne voulant plus retourner à Berlin, il entra chez M. de Talleyrand en qualité de maître d’hôtel. Mais il avait de l'ambition et il fit tant et si bien qu'il parvint à entrer dans les cuisines des Tuileries.
Mais Louis-Philippe n'était pas un roi gourmand, ce qui désespérait ce pauvre Cazeneuve, dont les plus savantes combinaisons culinaires passaient inaperçues. Un jour, cependant, il apprit par un des écuyers tranchants que le roi avait daigné remarquer un salmis de faisan et de bécasses, qui était tout simplement un chef-d’œuvre. Le lendemain, nouveau plat accommodé de la même façon, mais le monarque n'y toucha pas ; Cazeneuve était désorienté.
La Révolution de 1848 mit fin à sa carrière.
Depuis environ 15 ans, Cazeneuve occupait un logement très ordinaire dans la rue du Pot-de-Fer Saint-Marcel, où il vient de mourir. On peut dire qu'il était le doyen des cuisiniers de France. Une particularité peu connue, c'est qu'Alexandre Dumas, lorsqu'il fit son célèbre livre de cuisine, le consulta très souvent, et nous croyons savoir que sa collaboration ne fut pas inutile au grand romancier, qui, s'il connaissait toutes les ficelles dramatiques, ignorait encore le secret de bien des sauces ». (Le Voleur, 16 Janvier 1880, page 45).
*
LA VIE DE BOHEME.
On ne saurait être bien tendre
Alors que l'on manque de pain
chante la Périchole à son cher amant. Les opérettes, en France, sont des choses très importantes. Des monuments nationaux. Tels quarante ou cinquante millions de Français pris au hasard dans le passé qui n'ont jamais lu "J'accuse" et qui n'ont jamais su qui accusait qui, ont chanté les couplets de la Vie Parisienne, le grand air d'Olympia. C'est pourquoi, en matière de cuisine, autre pratique nationale largement répandue, on peut faire confiance à Offenbach. En matière d'amour aussi : Offenbach est le seul musicien à avoir su exprimer l'amour à la française, mélange léger de sentiment et de sensualité. Les personnages d'Offenbach sont proches de ceux de Murger : ce ne sont pas à vrai dire des artistes, mais des bohèmes, mot que la mode écologique de ces dernières années a transformé en hippies, avec toute la tristesse que cela comporte.
Que mangent les bohèmes ? Pas grand-chose. Ils font des prodiges pour ne pas mourir de faim. Dans le roman de Murger, "Scènes de la Vie de Bohême", ils s'en tirent toujours à peu près, par quelque gaie pirouette avant d'aller faire l'amour avec une jolie lorette aux cheveux à la ventre affamé (parce qu'ils cachent les oreilles : ventre affamé n'a point d'oreilles) échappée de quelque album de Gavarni. Dans la réalité, comme on ne sait pas, mais c'est assez évident, les bohèmes crevaient de faim, littéralement. Or,
A quels transports peut-on s'attendre
En s'aimant quand on meurt de faim ?
Je suis faible car je suis femme
Et j'aurai rendu quelque jour
Le dernier soupir ma chère âme
Croyant en pousser un d'amour !
(La Périchole dit d'ailleurs à son cher amant : "Pour les choses essentielles, Tu peux compter sur ma vertu". Mais quelles sont "les choses essentielles "?)
Du côté des putes, du moins arrivées, on se tape la cloche dans les grandes largeurs, car on sait combien on a du pendant des années manger d'arlequins, en craignant un polichinelle dans le tiroir, avant d'en arriver à une belle table garnie. Les lesbiennes dont Satin et Nana font à un moment leur compagnie, se soignent, dans une pension du genre bourgeois et même sérieux pour ce qui est la boustiffe, si ce n'est quant aux mœurs.
*
NOTRE ANCETRE LE BIFTECK.
Dans les caricatures - que je trouve pour ma part géniales de drôlerie, quoiqu'un peu partisanes - de Gillray et de Rowlandson, sous la Révolution et l'Empire, le Français est toujours appelé Monsieur François. C'est un homme maigre, vêtu de papier, coiffé à l'oiseau royal, qui danse au son du violon, boit force bouteilles (effilées) mange de la soup meagre (soupe maigre), de la salade, des escargots et des raves, le tout cru. Quelquefois, c'est un énergumène mal rasé, coiffé d'un bonnet rouge, pieds nus, le corps ceint d'un baudrier auquel pendouille un sabre : dans ce cas là il mange à la cuillère l'œil d'une tête coupée d'aristocrate, le Monsieur François précédent. L'Anglais, lui, John Bull, est si gros qu'il ne quitte jamais son fauteuil, dans lequel il a l'air vissé. Il a des joues comme des fesses, couvertes de boutons rouges, une petite perruque à marteaux en arrière, de gros bras qui craquent dans la redingote et de grosses jambes poteaux dans des bas blancs. Il ronge à même un gigot, les yeux exorbités, et chante "Aoh de roastbeef of de old England". Quelquefois, il serre amoureusement contre lui une énorme tortue-lyre des Caraïbes et dans ce cas-là l'image s'appelle "The English glutton".
Délire de caricaturiste, on le voit. (Gillray, comme plus tard André Gill et mille autres caricaturistes, est mort fou). The Roastbeef of the Old England ne devait pas apparaître souvent chez les pauvres filles de Marylebone qui cousaient les uniformes rouges de l'infanterie, ni dans les bivouacs de ceux qui portaient ces uniformes. Les unes mouraient poitrinaires à trente ans, et les autres d'une balle rentrée en Espagne... Pourtant - qui l'eût cru ? Les guerres napoléoniennes nous apportèrent un plat nouveau, adopté de nos jours à un tel point que c'en est devenu le plat typiquement français. Je veux parler du beefsteak-frites... Après Waterloo, les Anglais nous empruntèrent les bonnets à poil de nos grenadiers de la Garde pour coiffer leurs Horse Guards de busbies... Nous leur prîmes le beefsteak, avatar du roastbeef of the old England...
"Il est de malheureuses villes, il est de ces modernes Spartes où les premiers éléments du bien-vivre n'ont pas encore pénétré, où le bain-marie est ignoré, où la marmite autoclave est comme non-avenue", écrit en 1832 Louis Desnoyers, le charmant auteur des Mésaventures de Jean-Paul Chopart. "Où le beefsteak même, le beefsteak, qui le croirait ? Cette plus antique, et avec le gouvernement constitutionnel, cette plus importante de nos conquêtes sur l’industrie britannique ; ce gage simple et solide de la réconciliation de deux grands peuples si bien faits pour s'estimer, s'aimer, se comprendre, se restaurer ; le beefsteak enfin, si trivial, si populaire si européen qu'il ait pu devenir, ne pourra point s'acclimater avant un demi-siècle au moins !”
C’est dire si les villes de province dont parle Desnoyers sont arriérées : elles ne connaissent même pas le beefsteak ! Dans sa lancée vengeresse, il continue : "Et, à propos d’importations anglaises, c'est tout au plus, je pense, si l’on s'est élevé là jusqu’à la pomme de terre cuite à l'eau, considérée comme entremets permanent. Sans doute, on y mange des pommes de terre, et ces pommes de terre sont cuites, je me plais à le croire ; mais on les y mange bêtement, sans savoir ce qu'on fait alors, sans se rendre compte de tout ce qu'un pareil mets a de succulent dans sa naïveté. Or, quand on ne s'en rend pas compte, c'est absolument comme si on n’en mangeait pas..."
Voilà posés de façon définitive, codifiés dès 1832, le beefsteak et les pommes-vapeur, qui ont fait, depuis, l'éblouissante carrière que l'on sait.
Malheureusement, et c'est toujours Desnoyers qui nous l'apprend, dès 1832 il y a des mécomptes dans les tables d'hôte parisiennes : "On va jusqu'à y hasarder le beefsteak. Malheureusement, le succès ne couronne pas toujours cette audacieuse tentative. On vous sert, en ce cas, une espèce de cuir qu'on fait rôtir sur le gril ; et si vous demandez : Qu'est-ce? L'hôtesse vous répondra :
- C'est un bifeustèque.
Et au bout d'un grand quart d'heure, vous voyant vous acharner après, vous mettre en nage, vous y prendre et des mains et des dents pour en arracher quelque lambeau, elle ajoute gracieusement :
- Il est peut-être un peu dur, n'est-ce pas ? Cela m'étonne. La viande en était magnifique !... Agathe, dites donc au chef de prendre garde une autre fois ! Ses bifeustèques sont d'une dureté aujourd'hui ! La viande en était pourtant magnifique ! Il le sait bien ! Mais on dirait qu'il a ses jours pour les bifeustèques !... Mais, mon Dieu, monsieur, laissez donc cela... Ne vous donnez pas la peine... Agathe, changez donc d'assiette à monsieur... Vous offrirai-je, monsieur, un peu de ces haricots à la place ? Je les crois excellents."
Il y a beau temps qu'on ne dit plus du bifeustèque. C’est bien trop long. Dans ma région toulousaine, où les femmes sont vives comme des loches et actives comme des couleuvres, je prends plaisir à les voir arriver d'un pas nonchalant chez le boucher du coin.
- Qu'est-ce qu'il vous faut, madame Ricardou ? demande le garçon boucher en tablier blanc et veste à petits carreaux bleus, en agitant son couteau contre son fusil.
- Tu le sais bien, toi, répond la nervosité faite femme en faisant ses épates, une main au cabas et l'autre appuyée contre le comptoir. Elle répète, pour bien marquer son choix et sa décision !
- Donne-moi quelque chose que ça aille bien.
J'aime autant dire que si j'étais garçon boucher je donnerai ma langue au chat, me demandant qu'est-ce qui pourrait bien lui aller, et où ?
Mais apparemment il connait ses clientes : il lui taille, dans la bavette ou dans la culotte, un bif comac, de trois centimètres.
Vu qu'elle le paie sans discuter et avec toujours le même air las, c'est bien de ça qu'il s'agissait.
*
DEUX MOMENTS D’UNE VIE : 1942 ET 1961.
Quel contraste entre deux moments d'une même vie ! Les matins du triste hiver 1942, je sortais, gamin de neuf ans, de mon porche de la rue des Beaux-Arts pour aller, par la rue Jacob et celle des Saints-Pères, de Saint-Guillaume, à l'Ecole Saint-Thomas d'Aquin, rue de Grenelle, presque au coin du boulevard Raspail. Il faisait encore noir, j'avais déjà froid, et dans mon manteau de ratine usé, les genoux nus, je grelottais, lesté d'un peu de café d'orge grillé sans lait et d'un morceau de mauvais pain graissé d'une très vague margarine. De malheureux clochards barbus, que je vois encore, un sur chaque trottoir de la rue que n'éclairait nul réverbère, à cause de la Défense Passive, fouillaient de leurs crochets les poubelles de fer plus qu'à moitié vides : je me demande encore ce qu'ils y trouvaient, car on mangeait, alors, même les épluchures de pommes de terre et les trognons de choux bouillis avec du sel ; on séparait, pour la manger en sauce, la cosse des petits pois ; on ne jetait que la partie dure... Le seul poisson qu'on trouvait sur les étalages vides des Halles de Buci étaient des seiches brunes et noires que les Parisiens, faute de savoir préparer ces mollusques méditerranéens, faisaient bouillir et mangeaient avec du sel et un filet de vinaigre : un vrai désastre... Une anecdote courait le quartier. Tout le monde élevait, avec des trésors d'ingéniosité, dans des arrière-cours, sur les balcons, dans les cuisines, des coqs, des poules pour avoir quelques œufs : Paris retentissait de bruits campagnards depuis longtemps oubliés. Une vieille femme, surprise à ramasser des fanes de carottes à moitié gelées s'était entendu demander par sa voisine de la rue Visconti :
- Vous avez donc beaucoup de lapins ?
- Des lapins ? C'est pour moi.
Vingt ans plus tard, en mars 1961, je prenais le taxi à la gare de Lyon un beau matin de quille, rentrant du Sahara où je venais de me débarrasser de ma guerre du XXe siècle : celle d’Algérie. De rentrais chez moi après 27 mois de course en sac à bord d'une automitrailleuse plutôt conçue pour arpenter les forêts d’Alsace que les rochers du Plateau de Tadémaït. A Adrar, les enfants de la palmeraie fouillaient les tas d'ordures de l'armée, où pullulaient les rats, pour y manger, au creux de la main, les restes de l'infecte purée de pois cassés bourrée de charançons qu'un capitaine voleur nous vendait au prix fort pour se bâtir une villa à Nice. Le spectacle des rues de Paris, et de ma rue des Beaux-Arts ce matin de 1961, me révolta : des pains entiers, oui, des pains, des flûtes, des baguettes, des pistolets, voire des pains viennois dépassaient des poubelles pleines à craquer... Et il n'y avait plus un seul clochard : ils étaient tous morts, vingt ans auparavant... Je me demandais si je n'étais pas né, si je ne revenais pas d'un autre monde ? Car enfin ces gens qui jetaient des pains un peu trop secs pour leurs fines bouches, la plupart comme moi vivaient déjà là, vingt ans auparavant ? Qu’avaient-ils appris ?
*
[LOUIS-SEBASTIEN MERCIER (XVIIIe SIECLE)].
"Il n'y a pas au monde de peuple plus mal nourri que le peuple de Paris" écrit Louis-Sébastien Mercier sous Louis XVI. « A diner, la soupe, le bouilli ; le soir, la persillade ou le bœuf à la mode ; le gigot ou l'éclanche, le dimanche ; presque jamais de poisson ; rarement des légumes, parce que l'accommodage en est toujours cher : voilà sa nourriture habituelle ; ainsi vivent les trois quarts et demi des habitants de cette ville, dont le séjour est si envié des provinciaux, qui ne font pas chez eux une aussi maigre chère." Notre auteur ajoute quelques réflexions économico-morales que la multiplication des biens de consommation par les grandes surfaces à rendu vaines. "Plus les classes sont indigentes, plus il leur en coûte pour se nourrir. Il y a de pauvres ménages où un cervelas de trois sous compose toute la bonne chère, parce que les facultés n'ont pu s'étendre au-delà. Or la viande malsaine du cervelas se vend sur le pied de dix-huit sous la livre : le prince le plus opulent ne paie point à ce prix-là ce qui est servi sur sa table".
Or, au même moment où Mercier écrit son Tableau de Paris, source inépuisable pour les historiens futurs, l'anglais Young visite la France de Louis XVI et nous donne son opinion sur notre cuisine : elle est, faut-il le dire ? L’opposé absolu de celle de notre journaliste de la rue de Seine. "La cuisine française a de grands avantages : il est vrai qu'ils font tout cuire jusqu'à ce que cela soit desséché si on ne les prévient pas ; mais ils donnent un si grand nombre et une si grande variété de plats que vous en trouverez toujours quelques-uns à votre goût. Il n'y a, dans les auberges d’Angleterre, rien de comparable au dessert de celles de France, et les liqueurs ne sont pas à mépriser. Nous avons quelquefois trouvé de mauvais vin; mais en général, il est beaucoup meilleur que le porter des auberges anglaises..." Par contre, la nourriture des paysans français parait bien médiocre au voyageur anglais : "Il y a, dans la jatte contenant la soupe, une montagne de tranches de pain dont la couleur n'est pas agréable, abondance de choux, de graisse et d'eau, et, pour vingt personnes, une portion de viande qui aurait à peine suffi à six paysans anglais, encore auraient-ils murmuré contre l'avarice de leur hôte". Il estime qu'en France on abat trop peu d'animaux de boucherie (ce qui est contraire à l'opinion de Mercier : que le bouilli est le plat naturel des Parisiens). "Dans la ville de Layrac, il ne se tue que cinq bœufs par an, au lieu qu'une ville anglaise, avec la même population, consommerait deux ou trois bœufs par semaine". Young et Mercier écrivent à la fin de l'ancien régime : en 1787. Leur opinion, qu'ils veulent, naturellement, globale, est nécessairement un peu sujette à conclusions hâtives. Cependant il parait que Young n'est pas si partial qu'on veut bien le dire ces dernières années.
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[COMTE DE DAMPMARTIJ, EMIGRE EN PRUSSE].
Le comte de Dampmartin, homme de lettres émigré en Prusse et devenu le précepteur des enfants adultérins de la comtesse de Lichtenau, favorite du roi Frédéric-Guillaume II, raconte quel fut son menu pendant la détention de quatre mois qu'il partagea avec l'ex-favorite après la mort du roi, de novembre 1797 à février 1798 à Potsdam : on y voit figurer en bonne place notre café-crème matinal.
« A huit heures du matin, des gens chargés du chauffage allumaient avec fracas le feu des poêles ; ces feux se poussaient avec une telle force que, logé au rez-de-chaussée, dans une salle percée de six croisées, mis fort à la légère, tandis que le froid au dehors était si rigoureux que les regards ne se reposaient que sur des frimas ou sur des glaces, je me voyais, sous peine d'étouffer, contraint de tenir les fenêtres ouvertes.
A dix heures on apportait un déjeuner abondant, se composant de café à la crème avec du pain et du beurre. J'entrais alors chez la comtesse qui, avec une fidélité presque miraculeuse et durant deux heures de suite, recommençait les mêmes phrases de regrets, de plaintes, de réflexions, de frayeurs et d'espérances. L'appel des prisonniers, que le major du jour faisait à midi, avec un appareil germanique, mettait fin à mon martyre comme auditeur.
Je respirais en liberté durant la longue toilette de la comtesse. Parée avec une extrême recherche, elle faisait son entrée chez moi à deux heures que se servait le diner. L'ordre du roi, inscrit sur ma cheminée, réglait notre menu : un bouilli - un légume garni - un entremets de douceur - un rôti avec la salade - trois plats de dessert - deux bouteilles de vin de France, l'une rouge, l’autre blanche, et deux portions de café.
Assurément nous ne pouvions qu'être satisfaits de la volonté du maitre ; par malheur l'exécution dépendait du caprice des valets : les cuisiniers de la cour faisaient notre service par semaine. Quelques-uns croyaient avoir de justes sujets de haïr la comtesse et saisissaient l'occasion de se venger. Le nombre des plats ne souffrait aucune altération, mais souvent ils étaient détestables. Le café, toujours excellent, faisait ou les délices des bons diners ou la consolation des mauvais. A six heures, le thé nous valait une distraction de quelques minutes. Le souper se servait à neuf heures, et se composait d’un plat de poisson, d'un de légumes avec du dessert. »
Rien donc de dépaysant dans le menu de l'ex-favorite du roi de Prusse et de son précepteur français émigré, si ce n'est les heures ; mais on sait qu'elles ont beaucoup varié au cours des siècles, et selon les fractions sociales.
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L’ONCTUOSITE ECCLESIASTIQUE.
En 1794, l'abbé de Montrichard, ému de la détresse des nombreux prêtres français exilés à Fribourg, dont certains sont réduits à la mendicité, organise une table commune dans les locaux de l’Ordre de Malte : les prêtres se font cuisiniers et serveurs. Ils étaient entre 40 et 80. L’abbé Lambert, aumônier du duc de Penthièvre, nous explique à fond le menu de ces prêtres pauvres.
« On servait à diner la soupe, le bouilli ordinairement seul, avec un plat de légumes les jours de régal, du pain à discrétion quand on en avait, et de l'eau pour boisson. Le repas du soir consistait en une simple soupe. Qui n'avait pas, dans la soupe, de quoi contenter son appétit, avait son recours sur le pain ; rarement on servait autre chose sur cette table nécessairement frugale. Les jours maigres : soupe maigre, un plat de légumes au lieu de bouilli ; je ne crois pas qu'il y ait jamais paru d'œufs (ils sont rares à Fribourg) ni de poissons... Les pommes de terre et le riz suppléaient au pain, quand on en manquait, ce qui arrivait, ou parce qu'il était trop cher, ou parce que les fonds de l'établissement se trouvaient bas. Il y avait une table payante pour ceux des prêtres qui avaient besoin d'économiser, et qui néanmoins se trouvaient encore en état de faire les frais de leur nourriture. La seule différence de cette table à l'autre consistait en un plat de légumes, ou une entrée ajoutée au bouilli ; personne n'était admis à la table commune qu’il n'eût fait preuve de son honorable pauvreté. »
Toujours suivant les mémoires de l'abbé Lambert, les émigrés jadis riches, émigrés en Espagne, n'étaient pas mieux pourvus. Echappée à la Terreur avec son amant, M. Rouzet, à Sarria, village proche de Barcelone, l'ex-duchesse d'Orléans, veuve de Philippe-Egalité et mère du futur roi Louis-Philippe, ne fait pas gras :
« La table était réduite au rigoureux nécessaire ; il n'y avait qu'un seul vrai repas, le diner qu'on servait à trois heures ; il se composait de potage, bœuf, deux entrées, quelques hors-d’œuvre, parmi lesquels figurait toujours la chicorée ; quelquefois, on ajoutait un rôti. Le soir, vers neuf heures, on servait pour les soupeurs quelques plats de légumes, ou tout au plus d'œufs. Les chandelles remplaçaient les bougies dans l'appartement de la princesse. Je me rappelle qu'un fond de verre cassé servait de chandelier dans le court corridor de communication entre son appartement et celui de sa femme de chambre. Je n'oublierai pas non plus que dans les déjeuners chez Son Altesse Sérénissime, j'ai vu M. de Folmon (M. Rouzet) manger des restes d'omelettes ou d'autres rogatons de la veille... »
Les prêtres déportés sur les pontons de Rochefort par la Révolution survivent, et bientôt meurent dans des conditions semblables à celles des camps de concentration nazis. En 1794, bien après la mort de Robespierre et la fin de la Terreur, le chanoine de Reignefort décrit ainsi le régime de ce bagne, d'où la plupart des prêtres déportés ne revinrent pas : [ LE texte manque].
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[UN COCHER SOUS LOUIS XV].
M. Guillaume, cocher sous Louis XV, accompagne Mam'zelle Godiche, la coiffeuse, en partie fine avec son cousin à la Glacière à Chaillot : pendant ce temps, "j'étais avec deux de mes amis de ma connaissance... et nous buvions une pinte de vin, en mangeant le reste d'une fricassée de poulets, que le cousin et la cousine m'avaient donné dans le jardin, avec de la salade qui restait, de façon que nous ne faisions pas une si mauvaise chère".
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DINERS D’ARTISTES.
Vigée-Lebrun et son souper grec.
Beaucoup des diners d'artistes sont des blagues, où préside la plus charmante fantaisie : cela tient à la nature des personnages. Madame Vigée-Lebrun, la peintresse de Marie-Antoinette raconte "le souper le plus brillant qu'elle ait donné " : il n'a pas du lui coûter très cher, et pourtant il fit plus, pour toute sa réputation, bonne ou mauvaise, que ses admirables portraits de la société du règne de Louis XVI.
« Un soir que j'avais invité douze ou quinze personnes à venir entendre une lecture du poète Lebrun, mon frère me lut pendant mon calme quelques pages du Voyage d'Anacharsis [roman de l’Abbé Barthélémy]. Quand il arriva à l’endroit où, en décrivant un diner grec, on explique la manière de faire plusieurs sauces : "Il faudrait, me dit-il, faire goûter cela ce soir". Je fis aussitôt monter ma cuisinière, je la mis bien au fait ; et nous convînmes qu'elle ferait une certaine sauce pour la poularde, et une autre pour l'anguille".
En attendant, tout le monde se costume en grec, avec les accessoires de la peintresse, et un ami pousse le souci de vraisemblance jusqu'à prêter une admirable collection de coupes et de vases étrusques, pour parfaire l'illusion. C'est une reconstitution "grecque" dans le style néo-classique, on s'en doute, c'est l'époque où le sinistre David va couvrir ses toiles de Léonidas aux Thermopylae et autres Enlèvement des Sabines. Les invités d'Elizabeth Vigée-Lebrun, moitié artistes, moitié gens du monde, sont charmés, se déguisent... tout le monde s'amuse beaucoup. On accueille le comte de Vaudreuil, intendant des Beaux-Arts, en chantant un chœur de Gluck accompagné sur une lyre ! Et que mange-t-on dans ce souper grec ? "Outre les deux plats dont je vous ai déjà parlé, nous avions pour souper un gâteau fait avec du miel et du raisin de Corinthe, et deux plats de légumes. A la vérité, nous bûmes ce soir-là une bouteille de vieux vin de Chypre dont on m'avait fait présent ; voilà tout l'excès." Moyennant quoi on accusa la charmante Elizabeth d'organiser des orgies qui non seulement démolissaient les mœurs mais ruinaient la France... Vaudreuil piochant, bien entendu, dans les caisses de l'Etat pour les payer. Louis XVI en fit la remarque avec aigreur, etc, etc.
De quoi vivaient les peintres ? Les inconnus, c'est- à-dire l'immense majorité, de presque rien, comme de nos jours. "A onze ans (1766) nous dit Elizabeth Vigée-Lebrun, qui est née, elle, avec la passion de la peinture chevillée au corps - il est vrai que son père est lui-même un excellent artiste- à onze ans je sortis tout à fait du couvent, après avoir fait ma première communion, et Davesne, qui peignait à l'huile, me fit demander chez lui, pour m'apprendre à charger une palette ; sa femme venait me chercher. Ils étaient si pauvres, qu'ils me faisaient peine et pitié. Un jour, comme je désirais finir une tête que j'avais commencée, ils me retinrent à diner chez eux. Ce diner se composait d'une soupe et de pommes cuites. Tous deux, je crois, ne se restauraient qu'en venant souper chez mon père."
Deux ans plus tard, la petite Elizabeth est orpheline, son père ayant avalé une arête de poisson. Elle n'en continue pas moins à peindre : avec son amie, Mlle Boquet, elles vont apprendre à dessiner chez Briard : "Il logeait au Louvre, et, pour y dessiner plus longtemps nous apportions chacune notre petit diner dans un panier que nous portait la bonne. Je me rappelle encore que nous nous régalions en achetant au concierge d'une des portes du Louvre des morceaux de bœuf à la mode si excellents, que je n'ai jamais rien mangé d'aussi bon".
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Le boulot du patron.
J'ai sous les yeux le menu du Diner du Ve Anniversaire (14 Janvier 1911) de l'Association des Anciens Elèves Peintres des ateliers de l'Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris. La sanguine qui le décore est d'Auguste Leroux, qui n'a pas laissé un nom impérissable. Au premier plan, un modèle nu, coiffé comme il se doit d'un casque de pompier, et brandissant une queue-de-morue, une palette et différents pinceaux, se prélasse sur les épaules d’un rapin barbu en queue de pie. Derrière suivent en chantant les ex-élèves des ateliers Bonnat, Cabanel, Merson (celui qui dessina les billets de banque bleus) Ferrier, Cormon (le peintre des hommes préhistoriques), Gerôme (portraitiste de gladiateurs en plein bronze), Pils, Gustave Moreau (chéri d'André Breton), Humbert, Delaunay... bref, la fine fleur des pompiers. Le menu est robuste et sain, comme il convient à des estomacs sans fioritures : Potage : Pâtes d'Italie ou Auvergnat. Entrée : Tournedos béarnaise. Rôti : Gigot languedocien. Légumes : Haricots panachés. Salade, fromage, dessert. Vins : Bordeaux ou Touraine, Cidre ou Bière, Champagne, Café. Pas de quoi fouetter un gâte-sauce.
Je regrette d'avoir perdu la collection que je m'étais faite aux Beaux-Arts de divers "boulots du patron" : c'étaient les menus qu'offraient, chaque année, les élèves d'un atelier à leur patron librement choisi par eux. Le premier auquel j'assistais, en 1951, à l'atelier Perret, 1 rue Jacques Callot, je m'en souviens encore comme s’il s'était déroulé hier. Auguste Perret, notre patron bien-aimé, et promoteur du béton au début du siècle, s'était dérangé pour nous faire honneur, en grand uniforme : crâne chauve tel que le lui a sculpté Bourdelle, barbe blanche, costume bleu-ciel et pochette. Il se tenait, très digne, sur l'estrade aménagée dans le demi-cercle qui fait le coin de la rue Mazarine, et mangeait sa côtelette, impassible, dans les rafales de petits pois et de purée que nous, les nouveaux, balancions pour nous venger sur la table des vieux cons. Le massier de l'année, dont j'ai oublié le nom, et quelques autres anciens, protégeaient de leurs corps et de leurs assiettes les personnalités qui face à la salle dinaient comme sans entendre seulement la tempête de hurlements et de chants qui soulevaient une bonne paire de centaines d'architectes en herbe... On mettait du plâtre dans la purée "pour qu'elle prenne plus vite" (sur les vêtements des officiels) et à part eux, stoïques, personne ne mangeait un petit pois. Si : des oranges achetées par cageots le matin même aux Halles. On buvait aussi un tonneau de deux cent litres de vin de Bercy. "Qu’est-ce que vous voulez faire de cette vinasse ?" nous demandaient goguenards les cavistes de la Halle aux Vins, chez qui nous allions faire nos achats avec des charrettes à bras louées chez le charbonnier de la rue de l'Echaudé. "Le jeter sur des mectons !"
Les autres repas d'ateliers, auxquels mes fonctions de Dendrologue (ordonnateur des fêtes) puis de Comitard du Bal des 4 Z'Arts m'amenèrent en huit ans que je restai à l'Ecole, et j'ai dû assister à une bonne centaine, se déroulaient presque invariablement sur le même rythme. Selon le thème donné pour le pince-fesses, les garçons et les filles se retrouvaient déguisés en gueux de la cour des Miracles, en copains de Périclès ou en portraits de Breughel, c'est-à-dire aux trois-quarts nus et peints de ces fards gras qui servent dans les music-halls : noir, bleu-ciel ou vert-pomme pour le corps, bleu-vif pour la bouche, rouge pour le tour des yeux, etc. La nourriture, destinée, comme je l'ai dit, à être projetée, n'était pas d'un extrême raffinement. Le vin et les oranges étaient de plutôt mauvaise qualité. Moyennant quoi tout le monde s'amusait follement, et restait à cuver son vin et ses amours dan les bottes de paille qu'on avait pris la précaution de disposer sur le plancher de la soupente pour amortir la chute des corps.
Votre mari, Madame ? Il est dans la soupente
A faire les 400 coups, tirelou
Avec notre servante.
Toute cette joyeuse jeunesse, qui conspuait la guerre d’Algérie (où il fallut bien aller, tout de même) criait "A bas l'armée" et chantait le Cordonnier Pamphile pour faire enrager la jolie Jacotte, dont le nom était à une lettre près celle de l'héroïne peu recommandable de la chanson : Javotte - toute cette jeunesse, donc, regarde de nos jours l'œil en coulisse ses enfants, voire petits-enfants "qui ne veulent rien foutre". Encore heureux quand lesdits enfants, fils de gauchistes notoires ne sont pas entrés à Saint-Cyr ! Abomination de la désolation.
Mais j'y pense, où sont passés les rapins du Menu de Janvier 1911 que j'ai sous les yeux ? Dans la boue de l'Argonne, dans les tranchées des
Eparges. II faut se hâter de rire avant d'avoir vraiment à se plaindre...
Or, au cours du siècle dernier, les artistes, nation rieuse et aventureuse, bien mal payée de son courage, de sa constance et de son travail acharné, trouvèrent assez souvent dans le peuple ou ailleurs de braves gens pour assurer modestement une existence qui n'a jamais cessé d'être précaire. Et même, quand on regarde par-dessus l'épaule de notre siècle de matière plastique, où il n'y a de plastique, hélas, que la matière ! On s'aperçoit que son prédécesseur avait énormément de charme. Ce n'est pas lui qui aurait inventé le néfast food. Rendons grâces à l'esprit des modestes Lucullus de banlieue qui savaient vous faire sauter un lapin aux oignons, bouillir une soupe aux choux et tourner dans la lèchefrite tant d'honnêtes fricots. Voici la mère Ganne, qui régala de maintes gibelottes les peintres de Barbizon (qui ont des barbes de bisons). Elle méritait une épitaphe, à côté de Millet, de Théodore Rousseau et de Decamps, près desquels elle est au ciel, tandis que rôtiront en enfer les magnats amerloques détenteurs de leurs tableaux, au fond d'un Wisconsin de flammes.
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Les gibelottes de la Mère Ganne.
"Cette brave mère Ganne régala de ses gibelottes plusieurs générations d'artistes. Pauvre femme ! Elle vient de "lâcher la queue de sa casserole" et, chose triste à dire, il ne s'est trouvé dans la presse qu'un journal, un seul, l'Evènement, pour enregistrer la fin de cette digne rivale de la fameuse mère Saguet.
O l'ingratitude des hommes ! Pas un journal n'a eu un mot de regret pour la mère Ganne, qui vient de mourir.
La mère Ganne, comme l'appellaient les Diaz, les Decamps, les Jacque, les Nanteuil, les Rousseau, toute la colonie, avait hébergé dans son auberge de Barbizon deux ou trois générations d'artistes, dont un certain nombre sont devenus la gloire de l'Ecole Française. Personne ne résistait à son lapin sauté. On y résistait si peu que ce lapin sauté devint un jour un drapeau, pour me servir d'une expression que m'envierait Monsieur Prudhomme.
Autour du lapin sauté de la mère Ganne défilèrent, en effet, les premiers romantiques de la peinture qui, s'insurgeant contre les traditions classiques de l'Ecole des Beaux-Arts, vinrent demander des inspirations à la forêt de Fontainebleau. Autour de ce lapin se groupèrent Corot, Decamps, Diaz, Millet, les deux Rousseau, généraux d'une grande armée. Aussi la mère Ganne avait-elle des opinions à elle. Elle est morte dans la foi artistique et dans l'horreur du Cabanel" (Le Voleur, 21 novembre 1879).
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MANIERES DE TABLE.
Les bonnes manières de table sont nécessairement lentes. On ne mange pas avec un lance-pierres, encore moins avec les chevaux de bois. Il y aurait un parallèle hautement philosophique à dessiner entre Talleyrand et Napoléon 1er, qui expliquerait clairement, rien que par leurs manières de table, toute une politique, toute une conception du monde, une cosmogonie différentes. Quand Talleyrand, après avoir longuement expliqué à un quidam que tel vin se regarde, s'admire, se hume, se palpe, et finalement se boit - et que le quidam assez niais lui ait dit : "Et après ?" - "Après ? Après, Monsieur, on en parle." Voilà, c'est toute une sagesse millénaire, toute une vision de la vie, une façon d'être, à laquelle répond celle, hagarde, haletante, de l'homme d'action : Napoléon, qui déjeune en cinq minutes d'un pilon de poulet hâtivement rongé, d'un verre de Chambertin avalé comme un lavement, et qui meurt à 52 ans - c'est bien fait - d'un ulcère à l’estomac. Talleyrand, lui, traverse les divers régimes sur la crête de la vague : il ne navigue pas contre le vent ; c'est la vague qui le porte. La vague "patience et longueur de temps". "Gouvernez un empire comme vous feriez cuire un petit poisson" : c'est-à-dire lentement, sans le détériorer. Finalement, Talleyrand, si infect aux dires de certains, a épargné bien des morts à la pauvre humanité : c'est quelque chose.
Les gens du XIXe siècle, qui s'asseyent tranquillement à la table familiale et prennent le temps de glisser entre leurs bajoues et leur col à triple tour l'oreille d'une serviette immaculée, avant de tremper la louche en ruolz dans le potage onctueux et parsemé de plus d'yeux que le corps d'Argus, qui repose (pas Argus, le potage) dans une jolie soupière renflée en Vieux Rouen ou en Marseille, les gens du XIXe, donc, sont menacés vers la fin du siècle par un avatar napoléonien, beaucoup plus vulgaire et sans la moindre gloire cela va sans dire : le self-made man, le cow-boy, le Roi des Marchands de cochons de Chicago, bref l'homme pressé.
"L'américanisme - cette peste ! - a envahi les restaurants et déteint sur leurs menus. Le Monsieur "qui veut manger vite" a détruit la bonne chère. Le diner est véhiculé maintenant sur des réchauds à roulettes, à la disposition immédiate du consommateur. Vous voulez du roastbeef, on vous en voiture une tranche ; vous désirez du poisson, on vous en roule un filet. Dans ces conditions le tout ne peut être que détestable, mais c'est servi vite et le Monsieur "qui n'a pas le temps" est satisfait.
C'est ce monsieur-là qui est cause de l'invention des meubles de fonte dans lesquels nos restaurateurs préparent la pâtée de leurs clients sans distinction de plats ni de sauces. Dans les compartiments de ces appareils économiques chauffés par la houille sont rangés symétriquement tous les allèchements de la carte. Suivant les ordres venus des garçons, s'ouvre la case des viandes braisées, le tiroir des poulets ou celui des légumes, mets fades, cuits sans vigilance, sans attention, sans le temps voulu, tous imprégnés d'une vapeur d'eau chaude, mais qui suffisent au palais du consommateur pressé."
"Cuits sans vigilance, sans attention, sans le temps voulu" : comme c'est bien expliqué ! Comme c'est ça ! Bachaumont, du Constitutionnel, que cite le Voleur de ce 24 Août 1877, est un profond observateur culinaire : la cuisine n'est qu'une affaire de temps. Comme d'ailleurs la plupart des affaires terrestres : "Ce n'est pas l’homme qui gagne, me disait cette tante par ailleurs peu sympathique : c'est le temps". Elle parlait de l'achat d'un pré qu'elle convoitait depuis vingt ans : elle finit par l'avoir au tiers de sa valeur initial. Pour un peu, un quart de siècle plus tard, elle l'aurait eu pour rien. Combien ai-je entendu de ces sinistres et burlesques histoires de cuisinières, qui ont traité leur métier par-dessous la jambe ! C'est telle qui, ayant laissé un savoureux plat en cocotte sur le gaz pour aller donner un petit coup de fil qui a duré deux heures, a retrouvé son plat carbonisé, sa casserole fondue, l'appartement envahi d'une odeur épouvantable, et d'une fumée épaisse qui, dans son malheur, avait encore eu la bonté d'éteindre par étouffement l'incendie que son incurie avait déclenché dans les festons de ses étagères... Les histoires de casseroles réduites à un magma brunâtre, voire à quelque flaque de zinc sur une cuisinière rougeoyante, pendant que les rideaux proches s'enflamment, toute gâteuse de sauces en a une bien bonne à vous raconter, avec complications d'assurances à la clé...
En général, les femmes n'ont plus le temps de faire la cuisine : elles collent au coin d'un gaz une quelconque ragougnasse hâtivement bâclée et vont passer deux heures à jacter de quelque divorce savamment mitonné avec quelque idiote en robe de chambre, pantoufles du docteur Schmall et bigoudis rosâtres.. "Tu m'ennuies, je n'ai pas le temps" est ce que s’entend le futur divorcé quand il demande le plus modeste mironton. Inutile de dire que les mitonneuses de mironton ont, elles, tous les galants désireux de goûter à leur bœuf aux carottes. En général, les hommes aiment autant coucher avec une bonne cuisinière qu'avec une téléphoneuse qui, pour tout potage, ne sait que se ronger les ongles. Sans en offrir à personne, de plus.
Mais continuons la description désastreuse de ces restaurants de 1877, auxquels bien des nôtres n'ont, hélas, rien à envier.
"Grâce à ce consommateur, les restaurants offrent l’aspect d'un navire en branle-bas de combat, et les gens de service se donnent le mouvement de matelots du pont communiquant à l'aide de hurlements avec les matelots de l'entrepont et de la cale. C'est un va-et-vient, un bruit, un affairement insupportable pour le dineur paisible. Je ne sais plus guère que le Café Anglais et un ou deux autres restaurants à Paris où le service soit calme et silencieux, où au moindre appel, au moindre signe du client, les garçons ne répondent pas de toute la force de leurs poumons et de tous les coins de la salle : "Voilà !" et où un maître d'hôtel faisant l'empressé et criant plus fort encore, ne s'époumone pas à dire ; "Voyez quatre, voyez six !" ce qui veut dire : parlez à la table numérotée sous cet ordre.
Le respect du consommateur s'efface complètement parce que lui-même ne se respecte plus. Le jour où il a affecté d’appeler tout haut les garçons par leur prénom : Laurent, Jules, Paul, les garçons se sont crus autorisés à lui répondre : boum ! Et dès qu'il s'est mis à parler argot et à demander une côte nature, une demie, une purée croûte, le maitre d'hôtel a trouvé naturel de lui offrir une douzaine, une tranche, un brie et nombre d'et coetera.
Le restaurant a tendance maintenant à tourner au buffet et c'est grand dommage pour les gourmets et les amateurs de fins repas. On ne savoure plus, on avale. La génération actuelle est pitoyable devant la fourchette, elle n'a pas l'esprit de la table : elle n'en connait ni les raffinements, ni les ressources variées, ni les délicatesses infinies. Un homme de trente ans qui sache commande un diner devient une rareté."
Quelle différence, entre cette usine à mangeaille à l'américaine de 1877 et le charmant restaurant Hardi dépeint en 1815 par Cavalié Mercer ! Mais que dirait notre chroniqueur de certaines séquences actuelles de "L'aile et la Cuisse", où on voit des carcasses de poulets et des arêtes de poissons en plastique, au bout d'une rotative, tremper dans une pâte infecte qui sera leur viande et leur chair ! Là encore, comme disent les aliénistes, on n'arrête pas le Progrès.
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VOGUE DE L’EAU DE VIE.
« L'eau-de-vie, jadis spécialité des grognards, la goutte comme en disait, est devenue le breuvage des plus jolies femmes. Plus elles sont poétiques, éthérées, diaphanes, plus il leur est prescrit de se mettre à l'eau-de-vie. Elles en boivent deux et trois petits verres par jour, avec une gravité plaisante, quelquefois sacerdotale et parfois une affectation de hardiesse. Rien n'est amusant au milieu d'une visite, comme de voir la maîtresse de la maison sonner Pierre ou Joséphine et se faire apporter sur un plateau, quand l'heure de la potion nouveau style est arrivée, tout ce qu'il faut pour remplir le petit salon d'un délicieux parfum de cabaret et faire sentir comme un petit bidon ses lèvres de rose ». Andréo, du Jockey. (Le Voleur, 24 Novembre 1876, page 749).
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PAIN A DISCRETION.
« J'accepte tous les prospectus qu'on me tend dans la rue. Les plus fréquents sont les prospectus des restaurants à prix modique : trois plats au choix et pain à discrétion. Phrase horrible !
Vous est-il arrivé quelquefois de jeter un coup d'œil dans ces humbles temples élevés à la faim ? Ce n'est pas là qu'il faut chercher le bruit, l'animation. Les convives ont de bien plus graves préoccupations : ils sont là pour manger, et pas pour autre chose. Leur repas est une affaire sérieuse, ce n'est pas un plaisir ; c'est une conquête. Le dîneur à 22 sous ressemble au sage d'Horace : un tremblement de terre parviendrait à peine à l'émouvoir.
Celui qui a examiné les figures de tous ces mangeurs agités et muets y a lu bien des romans, y a soupçonné bien des mystères. Au milieu de ces petits employés, de ces rentiers modestes, on découvre çà et là une tête de vieillard inclinée et blanche ; ou bien encore quelque jeune fille maigre et mal vêtue, grâce éteinte sous des haillons ! Blonds cheveux arrachés par la maladie ! Tendres regards creusés par la misère !
Souvent aussi c'est une redingote usée jusqu'à la trame, et qui montre une décoration fanée entre les fentes de la boutonnière.
Mais à côté, parfois tout près de la porte, il y a la jeunesse, la santé, l'espérance. C'est-à-dire quelque brave garçon de 18 ou 20 ans, vite entré, vite sorti, qui a lestement expédié son repas sans presque y songer : musicien ou poète, peintre ou sculpteur, pour qui le temps a des ailes, et qui du fond de sa souriante et active pauvreté, rêve les splendeurs de la gloire et les apothéoses du génie. » Monselet (Le Voleur, 24 Novembre 1876, p. 749).
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LES SOLES DE CHAMPFLEURY.
« Il parait qu'à la Halle, au pavillon de la vente aux criées, une manière d’enchérir sans donner l’éveil aux voisins consiste à se gratter le nez. Un raconte que, l'autre jour, Champfleury qui étudiait les mœurs des habitants des Halles, et qui, sans aucun doute, n'était point au courant des usages, s'étant gratté le nez en présence d'un panier contenant 144 soles, s'est vu, à sa grande surpris adjuger le susdit panier ; vainement il a protesté qu'il s'était gratté le nez fortuitement à cause du froid. Le panier lui est resté moyennant 75 F., plus 5 % pour les frais. » (Le Voleur, 17 décembre 1875 page 815).
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AU SOLEIL D'OR ET AU LAPIN DE BERCY.
Peut-être trouverait-on la cause de l'humeur batailleuse de MM. Veuillot frères en remontant à leur berceau. Peu de lecteurs soupçonnent, je le parierais, que ces deux apôtres de l’éreintement ont vu le jour sur la terre classique de la matelote, dans l'arrière-boutique d'un marchand de vins. Cette curieuse révélation a été consigné tout au long dans un petit volume intitulé Bercy et signé d'un enfant du pays, M. Alfred Sabatier.
"Au numéro 22, sur le quai, il y avait une petite gargote portant pour enseigne Au Soleil d'Or. Sur le mur de cette boutique, nous nous souvenons d'avoir vu, il y a une trentaine d'années, une peinture (rien de Rosa Bonheur) représentant un lapin, pendu, ce qui signifiait qu'à l'intérieur de la maison on accommodait la gibelotte. Cette guinguette était tenue par madame François Veuillot. Son mari, honnête ouvrier, travaillait dans les magasins de vins de son état de tonnelier.
Demandez aux voisins survivants de l'époque des renseignements sur cette ancienne maison reconstruite et remplacée depuis par un café, il vous répondront que la mère François - qui a laissé à Bercy un bon souvenir - donna le jour à quatre enfants, deux garçons et deux filles : Louis, Eugène, Annette et Victoire.
Louis et Eugène allaient à l’école mutuelle, chez le père Denelle, qui a fait d'excellents élèves... et de bien mauvais (tout le monde ne va pas à Corinthe, n'est-ce pas ?)
Annette et Victoire allaient en classe chez Mlle Barthod, qui dirigeait en ce temps-là un petit externat dans la grande rue de Bercy.
De l'humble guinguette de sa brave femme de mère, M. Louis Veuillot s'élança d'abord dans l'étude de Maître Petit, huissier à la Barrière de la Râpée ; mais il ne tarda pas à protester contre le métier, demanda vingt-cinq jours à son patron pour chercher un autre emploi, et, ce délai expiré, il réussit à se caser - en attendant des jours meilleurs - dans les bureaux de je ne sais plus quel journal de province.
J'estime qu'il est resté à M. Louis Veuillot quelque chose du métier de sa mère : il excelle dans le coup du lapin ». (Le Voleur, 26 Novembre 1875, page 764).
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AU TEMPS DE « L’ASSOMMOIR » : LE PETIT-LOUVRE.
« On fait disparaitre en ce moment, à Batignolles-Monceaux, près des fortifications, un établissement qui était pour ce quartier ce que le Lapin Blanc était autrefois pour la Cité. Nous voulons parler du Petit-Louvre, un bouge de catégorie, un assommoir de barrière où l'on ne trouvait, en fait de boissons, que du vin à trente centimes le litre et du casse-poitrine à un sou le verre ! On y débitait également un rata fantastique à 15 centimes la portion, ce qui permettait aux philosophes du crochet d'y dîner pour la bagatelle de 50 centimes !
Le Petit-Louvre était le sobriquet de ce cabaret. I1 avait pour enseigne 0 20 100 0 (Au vin sans eau). Sa clientèle se composait de chiffonniers, de balayeurs de la rue et de quelques employés de la salubrité publique qui allaient là avec leurs gigantesques bottes. Il existait depuis environ quarante ans. Pendant le Siège il ferma ses portes et les rouvrit après la guerre.
Durant la période communarde, le Petit-Louvre appartenait à un nommé Bider, qui devint capitaine des sapeurs-mineurs, un corps franc peu connu que l'on caserna dans des bâtiments de la communauté des Jésuites, rue Lhomond. Bider fut condamnée à la déportation simple ». (Le Voleur, 12 Mars 1880, page 175).
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LE CAFE DES PIEDS-HUMIDES.
On a enterré hier, au cimetière d'Ivry, un individu nommé Ambroise Poivard, le fondateur du café des Pieds-Humides, dont tous les Parisiens d'il y a 40 ans ont entendu parler. Ce singulier café se trouvait aux Halles Centrales, à l'entrée de la Rue aux Fers. C’était une échoppe en planches, placée en contrebas de la rue, de telle façon que l'eau du ruisseau y pénétrait tout naturellement, d'où lui était venue la dénomination de Café des Pieds Humides.
Là les tables étaient inconnues et il n'y avait aucune espèce de sièges. Une large planche posée sur deux pieux figurait un comptoir chargé de verres et de tasses. C'était tout.
Du reste cet établissement n'était ouvert que le jour. A la tombée de la nuit, le père Poivard emportait son matériel dans une corbeille, et on ne le revoyait que le lendemain. Il ne débitait que du café noir à un sou la tasse, trois sous avec le petit verre de casse-poitrine.
Après 25 ans de ce commerce, Poivard, qui avait amassé quel que argent, devint tout à coup ambitieux, et abandonnant le café des Pieds Humides, il fonda un débit de liqueurs rue Mouffetard, à l'enseigne de la Consolation ; puis il devint l'associé du père Moras, et se trouva copropriétaire du cabaret du Lapin-Blanc, dans la Cité.
Depuis une vingtaine d'années, il vivait dans une pension bourgeoise de la rue de la Clef. Il est mort à l’âge de 87 ans. (Le Voleur, 21 Novembre 1879, p. 751).
INVENTION DE LA POMME DE TERRE SOUFFLEE (1835).
« C’est à l’inauguration de la première ligne de chemin de fer française, celle de Paris à Saint-Germain-en-Laye, en 1835, qu'auraient été inventées les pommes de terre soufflées.
Pour restaurer le monde officiel que le train devait amener de Paris à Saint-Germain, les constructeurs de la ligne avaient fait préparer, dans cette dernière ville, un plantureux déjeuner. Sur le menu figuraient, entre autres légumes, des pommes de terre frites. Ce repas avait lieu à la station même où l'on avait improvisé les cuisines et la salle à manger. Une foule de curieux était là, attendant l'arrivée du convoi. Tout à coup de cette foule s'élèvent des rumeurs. Le chef des cuisines en conclut que le train arrive. Il donne l'ordre de jeter les pommes de terre dans la friture. Mais c'est une fausse alerte. Le convoi n'est pas encore en vie.
- Retirez les pommes de terre, crie le maître-coq affolé.
Quelques minutes plus tard, le train entre en gare aux acclamations de la foule. Le chef-cuisinier ordonne aussitôt qu'on replonge les pommes de terre dans la graisse bouillante. Et voilà qu'à sa grande surprise il les voit s'enfler comme des ballons sous l'action du gaz... La recette de la pomme de terre soufflée était trouvée ». Ernest Laut : En Chemin de Fer. Supplément Illustré du Petit Journal 15 Août 1909.
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TRICHERIES ET FALSIFICATIONS.
Jambon à louer.
« Jamais, au grand jamais, nous n’avions encore entendu parler de louer des jambons. Cela se fait pourtant, et c'est, au demeurant, simple, pratique, censé et même loyal.
Vous vous adressez à l'une de ces maisons qui débitent toute la journée du jambon au détail, à la livre, à la tranche, et vous lui dites : "j'ai demain tant de convives à diner, je veux leur servir un jambon chaud, tout ce qu'il y a de plus beau, tout ce qu'il y a de plus fin..." Les plus gros sont généralement les meilleurs. Ces diables de jambons d'York, c'est gros comme un mouton de montagne tout entier. Voilà un ménage qui, le lendemain de son diner, resterait accablé sous le reste de son jambon. Il en faudrait manger pendant 15 jours peut-être, condamnation au jambon ! C'est ce supplice que vous évitez grâce à la location de la chose. Vous avez servi à vos convives le roi des jambons, un jambon de la Terre Promise sur lequel ils se seront extasiés selon l'usage des convives bourgeois qui veulent être aimables. Ils en mangent tant qu'ils veulent, tant qu'ils peuvent. Le lendemain, l'homme au jambon vient avec ses balances : il pesait tant, il ne pèse plus que tant, donc c'est tant que vous lui devez. Il emporte sa marchandise, moins le tribut déjà prélevé, et il la servira en détail sur le comptoir à sa clientèle ordinaire. » Le Voleur, 15 Juin 1877.
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Erzats d'escargots.
« Avez-vous remarqué qu'en desservant les tables où l'on a mangé des escargots de Bourgogne, le garçon sépare avec soin les coquilles intactes de celles qui ont été endommagées ?
Ces coquilles sont vendues à des établissements de 5e ordre, où on les utilise de la façon suivante : on prend du mou de mouton dans lequel, au moyen d'un emporte-pièce spécial, on découpe des spirales qui imitent à s'y méprendre l'escargot. Ces spirales, délicatement introduites dans les coquilles vides, sont garnies avec une farce succulente, et les consommateurs s'en lèchent les doigts.
Ajoutons que, par ce système, on peut avoir des escargots bien plus beaux que nature. » Le Voleur, 24 Août 1877.
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La maniotte.
« Au-dessous de la grande allée couverte des Halles où se tiennent les marchands de beurre et de fromages, est la chambre des horreurs des Halles de Paris. C'est dans la resserre de ce pavillon que les bijoutiers assortissent les rogatons de tous genres dont ils composent les arlequins. Un assemblage de bœuf et de poisson, relevé d'un os de volaille à demi rongé, et flanqué de quelques croûtes de vol-au-vent rassis, forme un joli plat de quinze centimes ! C'est à la confection de ces mets que travaillent les bijoutiers, tandis qu'à deux pas se pratique la maniotte.
Ah ! Le bon beurre de la campagne, en forme de petit pain d'une livre, enveloppé de feuilles de vigne bien fraîches que des colporteuses promènent dans Paris ! C'est la maniotte qui le produit. On apporte dans le sous-sol de la Halle tout le beurre un peu rance des épiciers, on le pétrit à la main comme de la pâte, on le broie, on le secoue, on le passe dans l'eau limpide d'un puits artésien, puis on le roule et on lui donne une forme gracieuse. L'odeur est partie pour 24 heures et le tour est joué. Si le mauvais goût du beurre persiste, on le sale, on l'enveloppe d'un linge mouillé, on le met dans un petit panier, et voilà du beurre de Bretagne excellent pour les Parisiens économes ! » Le Voleur, 6 Avril 1877 (Alfred d'Aunay : La Liberté).
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BANQUET.
Banquet offert à l’Association Sorézienne à l'occasion de l'apothéose des Grands Soréziens du Siècle.
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Hors d'œuvre variés. Relevés : Galantine de volaille à la Saint Jean d'Acre. Entrées : Caneton à la Fou Tchéou. Filet de boeuf sauce à la "Toque". Légumes : Cassoulet XIXe siècle, Asperges sauce Marbot. Rôt : Dindonneau à la Polytechnique. Entremets : Bombes Cronstadt. Dessert: Pièce montée, Fruits.
Vins : Madère, Médoc, Mâcon, Champagne.
En carafe : Eau de la Mandre, source Borrel. Café, Liqueurs.
Ecole de Soréze, 22 Mai 1899.
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ELOGE DE LA BRANDADE.
Pour ma part, la brandade ne me rappelle pas Nîmes, mais la forêt d'Halatte et la Sologne... M. Saulnier, le père de mon futur beau-frère Patrick, louait au Plessis-Chamant une maison ancienne qui avait appartenu aux Bapst, des bijoutiers, je crois, du Second Empire. Il venait y chasser en automne, mais peu de jours ; la plupart du temps seuls Patrick et moi nous rendions au Vieux-Logis pour y lire, en nous tordant de rire, la prose d'un de ces Bapst. Il y avait, dans l'entrée bien cirée, petite et bien sombre avec un escalier au bout, des massacres de cerf aux écussons de cuivre étincelant : dix-cors pris au carrefour du Chêne-à-l'Image le ... octobre 1880 etc... D'ordinaire c'est Jeanne, la Béarnaise cuisinière des Saulnier qui venait nous préparer quelque plat succulent, mais assez souvent aussi nous en étions réduits à nos propres moyens, c'est-à dire à fouiller les placards. Qu'y trouvâmes nous, un beau jour d’automne de l'année 55 ou 56 ? Une boite de cinq kilos de la meilleure brandade de Nîmes, offerte par un propriétaire de vignes gardoises qui voulait vendre son vin à la maison Nicolas [belle-famille de Monsieur Saulnier] qui a un énorme entrepôt près du pont de Charenton et dont M.Saulnier était le gendre. Ce magnifique cadeau de fin d'année ne fut pas perdu pour tout le monde : décidant de le manger tout à notre aise nous partîmes incontinent, comme on dit dans les Atlas, pour les Fournilles, une autre propriété que les Saulnier possédaient au fin fond de la Sologne, près de Ruffec. Il faisait un temps de cochon, pluie, neige fondue, vent, eau céleste, froid, gel, givre, chutes de feuilles (mortes) et ainsi de suite jusqu'à ce que nous fûmes dans la brande, car tel est le nom qu'on donne libéralement à ces terres solognotes. La brandade, elle, comme son nom l'indique, avait rendu l'âme, au cours du voyage, où avec du bon pain et un délicieux Bordeaux qui provenait du même placard mais plus bas, elle avait constitué tout notre repas. C'était une brandade fine, huile d'olive, avec de l’excellente morue, onctueuse, charmante : elle n'eût pas le temps de jaunir dans son pot de fer-blanc, c'eût été dommage. Au bout de quelques jours, ayant cuvé notre larcin dans la brande à poursuivre des canards plus véloces que nous (ce qui n'était pas difficile) nous rentrâmes innocemment à Paris, où nous eûmes les échos d'une colère atroce qu'avait fait M.Saulnier en découvrant l'absence totale de son cadeau d'entreprise... Comme quoi il est dangereux de laisser solitaire au fond d'un placard un pot de cinq kilos d'excellente brandade de Nîmes, fut-ce dans un hameau des environs de Senlis.
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CAMPAGNE AVEC VUE SUR UNE CUISINE.
Au rendez-vous des brocanteurs.
Il y a eu à notre époque un âge d'or de l'antiquité. C'est après la guerre qu'il a commencé, vers 1950, et il a duré jusque vers 1973-74, mais guère au-delà : c'étaient déjà la récession et son cortège, non de Bœuf Gras, mais de vaches maigres qui s'annonçaient, en attendant les vaches enragées qui nous pendent au nez... Dans ces années de la fin de la IVe république, si ridicule et si parfaitement discréditée, et sous tout le règne de nostre sire de Gaulle, les gens se débarrassaient de leurs vieux meubles, des vieux objets qui encombraient leurs greniers, leurs caves.,. Que de trouvailles à faire ! "Débarrassez votre grenier gratuitement !" lisait-on sur des prospectus de brocanteurs parisiens, imprimés sur papier jaune, vert, brun... Ce qui n'était pas gratuit, c'est les trouvailles que ces messieurs de la rue de l'Hôtel Colbert y faisaient, dans l'intimité de leurs cambuses. On se racontait telle Bible incunable que les chiftirs de l'Abbé Pierre avaient dégotté, dans leurs errances d'Emmaüs : ils écrémaient la région parisienne en ramassant de vieux papiers, de vieux chiffons, tout ce dont personne ne voulait ; et, bien sûr, on s'exagérait leurs trouvailles. Toutes plus phénoménales les unes que les autres. Je dois pourtant dire que j'en ai vu, de ces trouvailles, de mes yeux. Une de mes sœurs, étant un jour aux Emmaüs, près de Champigny, avec une amie, ramasse dans un vieux porte-cannes une poignée de pépin, de pébroque, ou de riflard, en métal bien brillant, un peu rouge.
- Combien ça vaut ? demande-t-elle à un de ces anciens pensionnaires de l'Etat qui servaient de commensaux à l'Abbé Pierre (de pauvres bougres qui sortaient de tôle).
- Trois francs, répond l'ancien monte-en-l'air avec jovialité.
- Mais, ne serait-ce pas de l'or ? dit à sa copine ma gourde de sœurette.
Elle la lui montre. (Au lieu de payer, de se taire et de filer !)
- Voyons ça ? demande l'ancien pensionnaire de la Santé, ou des Baumettes.
Ces cloches lui filent l'objet ciselé : Il sort sa pierre de touche, frotte, regarde :
- Mais oui, que ça en est, dit-il avec satisfaction en engouffrant le bac de canard du riflard dans sa profonde. Elles sont restées là
toutes les deux comme des andouilles.
En province, le goût de l'antiquaille battait son plein. A Narbonne, tous les jeudis matin, sur la place Voltaire, petite mais longue et bien dégagée, les brocs de Béziers, de Montpellier, de la côte venaient apporter leurs trouvailles. Recta à 8 heures du matin s'y trouvaient aussi tous les antiquaires et les bourgeoises de la ville qui trafiquaient d'antiquités, c'est-à-dire beaucoup. Tous ces gens se connaissaient parfaitement et s'épiaient du coin de l'œil an se saluant du bonjour bien sec quand on est, en province, entre rivaux. surtout que ces gens savaient parfaitement qu'en début d'après midi ils se retrouveraient tous en chœur chez Lemonon, le commissaire-priseur, le long de la voie ferrée, près de la gare, à chiner d'autres trouvailles : en général des fonds de vieilles fermes, avec de beaux draps blancs bien empilés, des coiffes qui n'avaient jamais servi, des serviettes bordées de rouge et brodées d'épaisses initiales avec leurs franges, toutes neuves... Il venait à la salle des ventes pour se divertir, toute une menue population de vieux et de vieilles, se moquer de ces gueilles, de ces guenilles : ce n'étaient pas eux, ah non, qui auraient acheté ces vieilleries usagées qui avaient appartenu à Dieu seul sait qui ! Dieu merci ils en avaient assez dans leurs propres armoires ! Ils n'en étaient quand même pas réduits à se moucher ou à coucher dans les restes des autres ! Ils avaient leur fierté ! Les antiquaires les entretenaient dans ces bonnes pensées, raflaient les "guenilles" à quelques dizaines de francs et allaient les vendre dix ou vingt fois plus à des bourgeoises parisiennes ravies de trouver du si beau linge presque neuf qu'elles diraient : "Ça vient de ma grand-mère. Et entièrement brodé à la main, pensez donc ! Ce n'est pas de nos jours qu'on ferait un travail pareil ! A cette époque, les femmes étaient carrément des esclaves, je l'ai encore lu dans un excellent livre de Salomé de Beauvoir..."
Mais on n'en finirait pas de raconter les histoires de Mille et Une Nuits des brocanteurs et autres antiquaires dans ces années bénies. Du reste n'est-ce pas des fauteuils Voltaire (comme la place) qui commençaient à se vendre cher pour les amateurs de téloche que je veux parler. Je revois cette petite place Voltaire d'il y a vingt ans, avec ses arbres feuillus, son encombrement de commodes louis-philippardes et de glaces dorées, de lustres d'église et d’oripeaux militaires, de fusils de chasse usagés et d'assiettes Ébréchées. Ce qui me revient aussi, c'est la parfaite ingéniosité que possédaient les brocs pour se faire à diner. Ils apportaient avec eux (beaucoup étaient d'ascendance espagnole) de ces grils à pinces et un brasero de terre des plus pitoyables - mais là-dessus, mes petits amis, une fois le charbon de bois posé et un gosse soufflant à bouche que veux-tu comme une tête d'ange ou de vent qu'on voit sous les buffets d'orgue du Grand Siècle, que le poisson cuisait bien ! Car ces gens, il faut vous le dire, se nourrissaient exclusivement de poisson, qu'ils allaient acheter à la halle de Narbonne, toute proche, au bout du boulevard Montmorency. C'étaient souvent des muges toutes fraîches dans les étangs pêchées. La muge, c'est le mulet, en français : un poisson à tête osseuse et camuse, qu'il faut prendre soin de bien écailler et de vider soigneusement de la boue des estuaires qu'elle aime ingurgiter. Il faut aussi l'acheter bien fraîche pour que la chair soit dure, sans quoi elle tourne facilement au mollasse. Mais alors, bien préparée, le ventre bourré de thym, de romarin de la garrigue, de rondelles d'oignons et de gousses d'ail, arrosé de temps à autre d'un filet d'huile d'olive, la muge, sur son gril de charbon aromatique, est un plat de roi près duquel le loup grillé de telle ou telle fantastique "auberge" provençale n'est que de la gnognotte pour touriste : C'est là, chez les brocs, qu'il faut goûter la muge grillée, après avoir avalé un ou deux de ces beaux violets que vendait dans son ancienne échoppe à journaux un type d'Agde. C'est, aussi, que la grillade requiert une attention particulière, et pour ainsi dire perpétuelle.
On devient cuisinier,
Mais on nait rôtisseur.
Marquez cela en lettres d'or sur vos fourneaux. Le matériel du rôtisseur en plein vent est rudimentaire ; mais l'art du rôtisseur, lui, est varié à l'infini. C'est comme le dessin : un bout de crayon et un morceau quelconque de papier suffisent - mais tout le monde n'est pas Géricault.
- Ah petit, elle est cuite à point ! disait à midi, recta, le père Pérez (le chauve) à son fils qui avait passé une bonne demi-heure à faire rôtir la muge. E n signe de louange et d'alléluia l‘angélus se mettait à sonner à Saint Paul-Serge, les platanes de la place Voltaire frissonnaient de désir à humer la fumée du poisson, et les bourgeois de Narbonne, moins bien lotis que le broc, rentraient chez eux pour quelque ragougnasse.
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La soupe au pistou.
La soupe au pistou ! Rien qu'à entendre ce mot magique, je revois les jardinets bien clôturés de murets secs de Pouzilhac, chacun avec son puits, de préférence du XVIIe siècle , bien étalés sous le village en allant vers Uzès et la Capelle-Masmolène... Un soleil vif et un froid encore plus vif illuminaient ce paysage de novembre 1966, où nous allions ramasser du bois mort, non pour notre grand-mère, comme dans la chanson, mais bien pour chauffer notre fille qui était née en Février, à Narbonne... Le mistral soufflait comme un fou dans les vignes, et le bois mort, c'étaient des bouffanelles, des sarments, et des éclats de cyprès... La maison de Pouzilhac s'appelait la Maison Magnan, elle était dans le bas du village et avait appartenu au premier mari de Madame Jeannette Jarroux, tué en 1940.
La maison était minuscule. Passé la porte donnant sur la rue, on se trouvait dans une charmante petite cour avec un mur haut de trois mètres en pierre du Pont du Gard : un âne aurait pu y prendre ses ébats, et d'ailleurs la pièce du bas n'était autre que l'écurie de l'ânon. Tout de suite à droite, un escalier de pierre haut et raide, le valet, ou balet, montait à la grande pièce de l'étage : la cuisine. Sur le devant, une seule fenêtre, donnant sur la cour et la rue, avec peut-être un mètre au-dessus d'elle, et derrière, pécaïré ! le toit en appentis montait à six ou sept mètres du sol : on aurait dit de dehors que la maison portait une casquette... Naturellement ça permettait, dans la pièce même, une soupente, tout comme dans un atelier d'architecture de la Grande Masse, rue Jacques Callot. En bas, le sol de la cave-écurie était jonché de mil à balais et de râpes de maïs. En haut, la cuisine possédait une immense cheminée en forme de bonnet d'évêque, bien particulière au Gard, qui fumait que c'en était un vrai plaisir et ne tirait quasi jamais. Les poutres vous descendaient de derrière la tête jusqu'au-dessus du fenestron. Une cloison séparait la cuisine d'une minuscule chambrette, dont le plafond formait le plancher de la soupente. Une vraie maison de poupée. Tout cela était bordé d'un terrain vague et ruineux d'où s'élançaient des montes-au-ciel, qui est le nom gardois des vernis du Japon. Le tout donnait une impression de naïveté et de charmant inconfort, mais au-dessus il y avait le ciel bleu bien peint de la Provence, le mistral et le soleil sur les murs dorés. « C'est mon beau-frère qui y couchait, quand il venait en permission... comme c'est là qu'on tuait le cochon, pensez s'il y dormait bien, sous tous ces boudins et cette saucissonnaille !" C'est elle, qui, pour la première fois, nous fit goûter la soupe au pistou.
"Vous prenez deux ou trois poireaux, que vous coupez en petits morceaux et que vous faites revenir dans, mettons, deux cuillerées à soupe d'huile d'olive. Pendant ce temps-là, dans une grande casserole, vous faites chauffer de l'eau, et quand vos poireaux sont bien revenus, vous versez le contenu de votre poêle dans la casserole. Ensuite vous y mettez un grand verre de haricots rouges, un autre de haricots blancs, quatre ou cinq grosses carottes, deux navets blancs ronds, quatre ou cinq grosses pommes de terre, une bonne poignée de céleri et une autre de barraquets, de ces haricots verts de Provence : des longs, sans fils et bien frais... Les rouges et les blancs d'avant, bien sûr, ce sont des haricots secs ! Vous mettez tout ça à bouillir, à feu continu, mais doux. Ensuite vous mettez votre jarret de porc et vous comptez deux bonnes heures de cuisson.
Pendant que ça cuit, vous préparez votre sauce au pistou. Ce pistou c'est le basilic, ça pousse partout et c'est délicieux dans les salades, malheureusement c'est annuel et c'est toujours à replanter... Donc vous pilez dans un mortier deux gousses d'ail hachées et une bonne grosse poignée de feuilles de pistou, le tout arrosé par deux cuillères à soupe d'huile d'olive. Il faut piler jusqu'à ce que ça fasse une sauce épaisse : c'est ça qui donne tout son goût à la soupe. Ensuite, on prend trois ou quatre grosses tomates bien mûres (Pouzilhac est le pays des tomates : mais pour avoir plus de goût prenez des rondes, pas des olivettes, elles sont trop farineuses) et on les fait pocher, c'est à dire qu'on les trempe dans la soupe jusqu'à ce qu'elles soient assez molles pour qu'on puisse les éplucher. On les pile alors avec le reste, jusqu'à ce que ça fasse une sorte de pommade qu'on met au fond de la soupière. On verse un plein verre de coquillettes dans la soupe - et dès que ces pâtes sont cuites, on verse la soupe sur la sauce au pistou et on saupoudre avec du gruyère râpé et on sert chaud... »
Madame Jeannette, dont le second mari était italien, y versait, elle, non du gruyère mais du parmesan... Tout de même, ce qu'elle ne disait pas, c'était l'odeur divine du basilic dans la grande maison bourgeoise qu'ils habitaient en face de notre petite maison Magnan... La magnificence de la soupière renflée à décors de singes et d'oiseaux jaunes de Moustier, les assiettes vert-olive ou vert-émeraude à huit pans coupés de la fabrique de Pichon, à Uzès...
Elle nous racontait les frasques et méfaits du dernier propriétaire de la demeure : un vieil original, seul de famille, mais oncle éloigné à elle. "J'étais épicière, à l'époque - oh, une petite épicerie, on avait tout dans le couloir... Voilà qu'un jour cet oncle me dit :
- Jeannette, tu ne voudrais pas me garder, les dernières années ? Je te laisserai tout, et les autres n'auraient rien à y voir ; je te ferai les papiers..." Pensez si avec mon mari on a été d'accord, sans compter qu'il y avait encore la ferme de la Vignasse, sur la route d'Uzès, un vrai domaine. Mais alors on l'a payé. O qu'il était original, le misérable ! Sainte Mère du Ciel combien de fois j'ai du nettoyer l'armoire, une magnifique armoire en noyer contre laquelle il crachait pour marquer sa colère ! Le bois en était devenu tout décoloré. Vrai, c'était un méchant vieux, et vous pouvez bien penser que la maison, je l'ai bien payée. Quand il a été mort, voilà ses plus proches qui arrivent : ils voulaient les biens. Mais le notaire m'avait dit : "Ne vous en faites pas, Madame, tout est en règle, le testament est inattaquable...”
C'est à partir de ce moment-là qu'on a été un peu à l'aise."
Monsieur Galizzi aimait bien nous raconter des histoires de sa jeunesse : comment, lui bersaglier, était allé en 28 (je crois) faire reculer les troupes d'Hitler qui voulaient envahir l'Autriche, ou le Tessin... Comment il était tombé malade dans un hôpital où un carabinier lui faisait faire des tours de la physique le faisant planer au-dessus de son lit...
- Mais cette physique, c'était de la magie ?
- Ma, il disait comme ça la physique... Mais la plou terrible, c'était une sœur, avec des lunettes en fer, méchante ! Le premier jour elle me dit : "Bersaglier, tu as communié vendredi" moi je dis comme ça : "Non". Tac, à midi il n’y avait plus que du bouillon, et pas de la viande...
Une autre fois, c'était l’histoire de Raphaël, pauvre peintre parti d'Italie (nous mîmes un moment à comprendre qu'il s'agissait du nommé Sanzio), que le portier du roi d'Angleterre ne voulut pas laisser entrer parce qu'il était vêtu comme un poverino.
- Alors le Raphaël, il s'arrête dans un hôtel, et là, sur un panneau de la porte, mon ami, il te peint un panier de fruits... mais alors, pas comme ces barbouilleurs de Picasso : un panier de raisins qu'on s'y serait mis à genoux devant ! Le roi d'Inghilterra, qui avait appris par son portier que le Raphaël était venu à son palais de Londres, vite il envoie des carabiniers après lui ! Mais va te le chercher : il était reparti en France, où il a peint plus d'une église...
M. Galizzi gardait un souverain mépris aux Autrichiens d'Innsbruck quand il y était allé, dans une division mussolinienne : des gens sans mœurs, excessivement méprisables.
- Vous ne voyez pas que le boulanger chez qui je logeais il voulait me donner sa femme pour qu'après j'aille avec lui ?
Il aimait plutôt le dictateur, bien qu'il n'apprécia guère les fascistes.
- Lui il a fait du bien au pays... mais les autres, ils sont restés en place, tous, même après 1945 ! Il n'y avait rien à manger chez nous, en 1930, quand nous sommes partis avec mes deux frères. En arrivant à la gare d'Avignon, bonne mère : Aucun ne savait un seul petit mot de français, rien, pas même prégo... On nous a embauchés pour couper du bois, à l'Ardoise. "Mais j'ai dit, nous on est des maçons !" - "Il n'y a pas de maçons ici », il me dit le contremaître, et il a fallu faire les bûcherons, un travail dont on n'avait même pas l’idée... Après j'ai trouvé du travail à Villeneuve-de-Berg, dans une usine pleine d'Arméniens, des prétentieux et des sauvages qui mettaient tous leurs sous dans leurs costumes.
Ce qui le mettait en colère c'est quand son fils Jean-Louis (dont la mère était madame Jeannette) se moquait de lui quand il disait "Galizzi est un nom très rare".
- Très rare ? Il y a une Galice en Espagne et une autre en Pologne...
Il le traitait de "farluquet", parce qu’il écoutait ce caraque d'Hugues Auffray, un Gitanous.
- Comment c'est pas un caraque ? Il s'en est encore vanté hier soir au poste...
Voilà les souvenirs qui me reviennent chaque fois qu'on fait de la soupe au pistou : le mistral qui chasse les nuages vers Saint Victor la Coste, derrière la colline, le ciel d'un bleu de lessive, les puits ronds en pierre dorée et le coin du feu de la cuisine des Galizzi, avec les assiettes vert-olive octogones d'Uzès et la soupière à coquecigrues jaunes de Moustier.
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Le Thon en cocotte.
Une autre merveille de ces année-là, ce fut le thon en cocotte. je m’en souviens d'autant mieux que c'est moi qui le préparais, dans la cuisine de Pouzilhac. Donc nous allions à Bagnols sur Céze faire les antiquaires en même temps que le marché. Les antiquaires étaient dans le bas de la ville, et le marché en haut. Tout cela a disparu.
Là aussi le mistral régnait, sur ce marché battu par le vent contre les façades ocre à volets vieux vert qui ont toutes l’air de sortir d'un décor de comédie XVIIIe : les Noces de Figaro. Et les marchands de poissons et d'olives, derrière leurs étals, avaient eux aussi l'air de figurants pour les Nozze : teints basanés, cheveux bouclés, pattes de lapin jusqu'au milieu du visage, et une santé, peuchère ! À s'époumoner en hurlant la marchandise. De temps à autre, un large coup de ce couteau plat à découper les gros poissons : plaf ! Pour écraser les guêpes insolentes qui venaient leur pomper le sang. C'est que le thon était, à l'époque, le poisson en réclame : 7 francs le kilo... Heureuse époque ! C’était en 1966 ; près de vingt ans après on peut facilement multiplier par sept le prix du thon, aussi est-il devenu inabordable : on n'en achète plus.
Le thon en cocotte est extrêmement simple à réaliser. On nappe le fond d'une cocotte en fonte d'une tache d'huile d'olive, on pose ensuite une couche d'oignons et d'ails, une couche de tomates coupées en rondelles, et au bout de deux couches de chaque, on pose la tranche de thon : une belle tranche rouge sombre, avec des cercles concentriques comme ceux du chêne, avec lequel d'ailleurs il a des affinités, et le bœuf aussi : animaux et végétaux robustes et créés pour durer. De temps à autre, vous remuez votre thon, vous le retournez et vous le couvrez d'aulx cuits, de tomates et d'oignons idem. Du reste le secret de la cuisine, là comme ailleurs - en amour par exemple - c'est l'attention. On ne fout pas un plat ou une amie en route pour aller ensuite lire les conneries du journal. On fait attention à ce qu'on fait. Comme ça le plat ou l'amour est réussi et tout le monde est content.
De plus, un brin de fantaisie ne messied pas : du thym par-ci, une feuille de laurier par là n'ont jamais fait de mal à personne. Ce sont la fantaisie et l'imagination qui font la beauté de la vie. Les enfants des gens de ma génération, quand je les voyais, peuchère ! Ils me faisaient mal aux yeux. De petits teints blafards de futurs gratte-papier de Ministère du Temps Libre (alors qu'on y est en tôle)... des petits souliers orthopédiques pour qu'ils ne déforment pas les jarrets et le cou-de-pied... Ces malingres barbiquets faisaient boursoufler de leur souffle le contenu grisâtre, marronnâtre ou beigeasse de petits pots pharmaceutiques... Ils en faisaient, une tête ! Ils se voyaient déjà maltraités par la vie... En regardant les parents qui réglaient soigneusement le pèse-bébé et resserraient les chaussures orthopédiques (qui coûtaient un prix fou) ils avaient le regard vitreux... Sans compter qu'on leur pesait le contenu des petits pots, déjà dégueulace en soi, on le comprend, produit par des rats de laboratoire... Ma fille, qui dès qu'elle avait eu des dents, avait été nourrie au thon en cocotte, en aurait dévoré quatre, de ces malingres rejetons de mai 1968.
- Comment, tu lui donnes ça ? demandaient les parents, les yeux exorbités. Du thon ? Avec des oignons ?
Et si on leur racontait qu'en plus, le siffloteur marchand de poissons "Aux Délices de la Méditerranée", à Bagnols, trucidait d'un large coup de couperet les guêpes et abeilles assez imprudentes pour venir téter le sang du thon, ils verdissaient et ramassaient hâtivement leurs petits pots, heureux encore que les enfants aux chaussures orthopédiques ne comprissent rien à ces infamies qui à elles seules, auraient motivé une nouvelle révolutionnette en matière plastique et celluloïd, peintes aux couleurs des gauchistes sans danger.
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Les Merveilles.
Dans les Pyrénées, à Arrens pour être plus précis, mon village natal, quand ils veulent se régaler, ils font des merveilles. Ce sont des beignets, tout simplement, qui gonflent démesurément et qu'on empile dans des paniers avant de les saupoudrer de sucre. C'est un souvenir d'enfance : à la Batteuse, près du Gave d'Arrens, avec mes multiples cousins et cousines. Il faut dire que mon grand-père maternel papa Cazaux, né en 1860, avait eu, de son mariage avec une fille du pays qui lui avait apporté en dot la maison en-dessous de la chapelle de Pouey-Lahun (la Chapelle de la Colline de la Source) 13 enfants dont 9 filles, et que toutes ces filles à partir des années 1900 avaient eu à leur tour des enfants qui maintenant sont de grands-parents.
C'était une famille à vocation clanique, du genre écossais ou caduvéo, mais alors, très fortement marquée, la vocation, en plein XXe siècle. L’époque n'y faisait rien. Je suppose que dans les Pyrénées c'est comme ça depuis beau temps ; quand plus tard j'ai lu le Voyage aux Pyrénées de Taine, et les romans de Walter Scott, j'ai tout compris. Sans oublier la filiation matrilinéaire chère aux bons auteurs d'ethnographie comparée. Quand nous (les enfants de la lignée sororale - les hommes n'ayant d'ailleurs rien à dire et étant relégués à une table devant des bouteilles de vin blanc) voyions entrer les sœurs Cazaux, chez l'une ou l'autre pour une partie de merveilles, nous avions des réflexes de chats : d'un seul bond, et sous les plus futiles prétextes, nous nous faufilions hors de la pièce, puis de la maison, que ce soit la Batteuse, la boulangerie de ma tante Madeleine ou la maison des Parrou, demeure ancestrale flanquée de plusieurs dépendances pleines de charme pour les parties de cache-cache et les épanchements furtifs qui s'ensuivent. Nous filions même hors du village, pour aller passer le temps (fut-ce par pluie, et Dieu sait s'il pleut dans les Pyrénées) à galvauder dans les champs montueux qui escaladent le Tourmalet, où justement, mon oncle Jean-Pierre avait sa ferme. Là du moins, la tête trempée et les pieds dans l'eau, nous courions le long des vifs ruisseau après les escargots, les grenouilles, ou allions jouer dans les granges en mordant ces pommes pâles, d'un vert très doux de jeune pousse, qui ont un goût si raffiné et qui étaient si nombreuses qu'on ne se donnait même pas la peine de les ramasser : ce sont les cochons qui s'en chargeaient... Nous savions que nos mères allaient passer l'après-midi, après de nombreuses libations de café au lait, à confectionner un ou deux paniers de merveilles, tout en se balançant gaiment des griefs respectifs dont les plus récents remontaient à leur enfance, et les autres bien avant la naissance de feu Napoléon III. Ensuite, on passerait en revue les mœurs et coutumes des filles, qui ne sont plus, comme on sait, à chaque génération, ce qu'elles auraient dû toujours être irréprochables. A se demander comment tous ces quarante et quelques petits-enfants du père Cazaux étaient nés ?
Voilà comment se faisaient les merveilles, dans une atmosphère chaudement familiale, où les agressivités féminines trouvaient à s'épanouir pleinement.
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Alexandrine des Echerolles.
Alexandrine des Echerolles, petite jeune fille de 15 ans, se cache, après la Terreur qui règne à Lyon et a dispersé sa famille, à l'Ombre, près de Nevers, chez une tante octogénaire et bizarroïde : Mademoiselle Melon. A cette vieille fille autoritaire et avare, Monsieur Bonvent, l’intendant de l'Ombre, s’ingénie à cacher la Révolution : elle en mourrait d'apoplexie. Mais il se rattrape sur le casuel.
"Mademoiselle Melon ordonnait chaque jour notre souper, ce qui était très naturel ; mais comme chaque jour nous avions les mêmes plats, M. Bonvent ennuyé de manger tous les jours un miroton et une gibelotte, prit le parti d'ordonner lui-même à souper et de l'ordonner bon. Nous eûmes alors d’excellents poissons, des poulets en abondance e tout le reste à l'avenant. Je ne sais si mademoiselle Melon s'en méfia, car elle me demanda un soir ce que j'avais mangé.
- Une fricassée de poulets, ma tante.
- Vraiment de poulets ?
- Oui, ma tante ; elle était même excellente.
- Vraiment ?
Elle n'ajouta pas un mot de plus, et faisant appeler Nanette avant de se coucher, il y eût grand bruit à la cour, et sa cuisinière de répondre avec le plus grand sang-froid :
- Rassurez-vous, mademoiselle, vos ordres ont été suivis ; mais mademoiselle des Echerolles est fort distraite, elle pensait à mille choses, et elle aura cru manger du poulet.
Cette fille le persuada si bien à sa maîtresse, que le lendemain matin, Mademoiselle Melon, riant de ma distraction, m'apprit que j'avais mangé un miroton de bœuf pour une fricassée de poulets. C'était bien à mon tour de dire : "Vraiment un miroton ?" Mon air étonné fut pris pour un aveu et ma réputation de distraite irrévocablement établie. Je fus bien obligée de tout faire pour la soutenir ; car ma tante ayant l'éveil, me questionnait souvent, et je répondais effrontément :
- Je ne me souviens pas du souper, ma tante.
- Comme c'est étonnant, reprenait-elle, vous sortez de table.
Je crois bien que c'était fort étonnant ; mais j'avais la pauvre Nanette en tête.
Elle venait chaque jour me faire ses complaintes :
- Ayez pitié de mon embarras, mademoiselle, je ne sais que faire : Mademoiselle Melon ordonne une chose, et M. Bonvent une autre ; il me chasse si je ne lui obéis pas ; ma maîtresse me renvoie si vous parlez, et si je perds ma place je suis sans pain."
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LE DESSERT MIROITANT.
Les Douceurs Mystificatrices.
Vers le milieu du XXe siècle (quelle façon de s'exprimer ! quand il s'agit du siècle des autres, ça nous semble normal de dire : vers le milieu du XVIIIe, du XIXe siècle - mais pour le nôtre, ça fait étrange), vers le milieu du XXe siècle, donc, j'allais volontiers flâner Place St André des arts pour trois boutiques : celle de Boubée, le célèbre taxidermiste, qui exposait des chouettes naturalisées et des lestrygons fossiles - et surtout deux confiseries qui excitaient ma jouissance mentale et de mûres réflexions. L’une était à l'angle de la rue Séguier, à droite en descendant vers le quai des Grands-Augustins, et l'autre trônait carrément au milieu d'une de ces rues qui tombent dans le boul Mich : peut-être la rue Serpente. Ces deux confiseries avaient une sororité : elles étaient peintes en noir, et il semblait qu'elles étaient là depuis des siècles. Sans doute la Place Saint André des Arts, ou des Arcs, évoque-t-elle pour Soudard un amour pendant la semaine chaude de la Libération, et pour maints disparus une église jadis fréquentée mais en démolition vers 1806, dont je possède une ravissante gravure : pour moi, ce sont ces deux confiseries jumelles. Celle de la rue Séguier exposait dans des bocaux de verre trapus, gonflés, cylindriques, carrés ou à pans coupés, avec des couvercles en dômes, à écailles, en pointe (à pans triangulaires) en bulbes, comme des églises orthodoxes, ou relevés aux angles comme des toits de pagodes, des variétés de bonbons comme, à l'époque, on n'en faisait plus, heureusement, on les a refaits depuis, et on peut les trouver dans les supermarchés, joliment enveloppés de papier cristal. C’étaient les "pois aux lards" : des petits pois verts avec des morceaux de jambon gros comme l'ongle, bien triés de rose, de rouge grenat et de blanc, avec de minuscules oignons d'un blanc opalescent, à rayures vertes. Puis des olives, blanches et noires, grandeur réelle, mais en sucre ; des fraises, plus petites que nature, mais extrêmement bien imitées, des escargots de la race bourguignonne, avec leurs stries noires et blanches sur leurs coquilles d'un beau brun de sucre caramélisé... J'admirais beaucoup le savoir-faire de ces confiseurs. Dans l'autre boutique, où on accédait par trois marches de pierre tout le long de la vitrine, les sculpteurs sur sucre s'étaient surpassés : dans de longues boîtes de bois recouvertes de vitres, on pouvait admirer des œufs au lard, avec la barde de lard, sa couenne légèrement brûlée (un effet de cassonade), le jaune avec sa pointe de rouge, le blanc avec son côté un peu gluant et les petits trous que fait le blanc d'œuf en cuisant... Mais l'artiste, désireux de montrer son savoir-faire, se surpassait de semaine en semaine. Il imitait n'importe quoi, avec un trompe-l’œil de plus en plus convaincant. Dans la grande vitrine, qui exposait de la pâtisserie, je crois qu'il fut un des premiers à exposer des figues, en pâte d'amande d'un charmant et doux vert, et des pommes de terre, en chocolat roulé dans le cacao brun pour imiter la terre, et piqué de pignons pour faire semblant "que c'étaient des germes"... Avec mes camarades des Beaux-Arts, en rentrant des cinoches de la rue Champo, nous épiloguions sur cet art éminemment populaire : l'art des confiseurs, où tout est si soigné, de la boîte dorée et surdorée qui expose dans un cadre de moulures en carton une scène où des marquises jouent avec des chiens-chiens, aux chocolats en forme d'escargots (encore) ou aux cerises avec, dedans, une goutte de Marasquin, de Cointreau, d'Anisette ou de Parfait Amour. Voilà l'art populaire, le vrai, celui que les gens consomment aux fêtes, achètent et s'offrent. L’emballage, d'une poésie vaguement douceâtre, mais finalement assez semblable à celle du Verlaine des Romances sans paroles, Incite l'acheteur : nul doute que la dame à qui vont les cerises farcies ou les noix confites, ou les marrons brillants d'un gel de sucre candi, ne soit le reflet de la marquise de la couverture. Beaucoup plus que la religion, la confiserie est l'opium du peuple. C'est vraisemblablement un art et une science bi ou trimillénaire : dans le Festin de Trimalcion, le cuisinier s'évertue à inventer n'importe quoi qui ressemble à autre chose - je veux dire qu'avec du sucre, du sucre et encore du sucre, mais blanc, vert, vert sombre, rose, rose-thé, rouge nacarat, orangé, bleu-pâle, brun tête-de-nègre, il peut aisément imiter ce qui lui passe par la tête, du jardin japonais miniature à la locomotive dernier modèle en passant par la crèche au moment de Noël...
Quant à savoir si ces choses sont mangeables : oui, mais enfin sans plus. Il y a une grande différence entre les figues en pâte d'amande et les pommes de terre en chocolat - de vraies merveilles, mais des pâtisseries, et toutes les fantaisies susdites dont le plus grand mérite est, encore et toujours, presque uniquement celui de l'imitation, car le sucre en est d'ordinaire banal et presque insipide. Pour montrer à quel point cet art des confiseurs est ancien et prisé, voici quelques pages de recettes pour déguiser, éternel tour de force, le salé en sucré : c'est le chapitre des "Conserves de Fruits", tiré du Jardinier François, 1684 : on verra que nos confiseurs de la Place St André des Arts n'ont rien inventé et on pourra faire quelques remarques philosophiques sur ce qu'ils imitent : des tranches de jambon et des rondelles de cervelas comme on en voit dans les natures mortes de Louise Moillon et les peintres français du XVIIe rassemblés par M. Sterling au musée de Strasbourg, autre notation : l’auteur de ce charmant traité conseille de mettre sur les fausses tranches de jambon des fausses feuilles de laurier, mais nulle part il ne parle de cornichons, pour nous pourtant légitimes accompagnatrices de ce mets.
« Vous pouvez en conserve contrefaire plusieurs choses qui surprennent à l'abord, comme par exemple des tranches de jambon, cela est un peu embarrassant à une personne qui n'a pas accoutumé de travailler en conserve, à cause qu'il faut bien prendre son temps pour entendre à tout, mais pourtant très-facile à qui y a un peu de pratique.
‘ Pour y parvenir, vous aurez des plats d'argent tout prests et quand vostre sucre sera cuit jusques en conserve un peu plus foible ou lasche, vous en verserez une partie dans un des plats, et le poudrerez de chair de citron, préparée comme je vous ay dit cy-devant, ou de jus de framboises blanches, ou de fleurs d'orenges hachées de mesme, ainsi que je vous ay dit ; bref de tout ce qui sera blanc pour représenter la graisse et le lard, et ferez bien tourner cette conserve par quelqu'un pour incorporer le sucre avec le décuit ; puis vous verserez une autre partie de vostre sucre dans un autre de vos plats, et y mettrez de la poudre de rozes aussi préparée, ou du jus de framboises, groseilles rouges, ou autre qui pourra représenter la chair du jambon : ne mêlant pas votre décuit par tout le plat, afin que restant quelques endroits blancs quand vous tirerez vostre conserve du plat, celà imite mieux les graisses qui entrelardent le jambon (et pour dernier, vous mettrez avec le reste du sucre qui sera dans vostre poeslon, de la fueille de fenouil vert, que ferez piler dans le mortier de pierre, c'en est la saison, ou en autre temps des pistaches, pour représenter le persil haché, et herbes fines que l'on met sur le lard du jambon ; vous prendrez ces conserves qui seront encore chaudes, et poserez la rouge, et un peu de la blanche sur une table, les mêlerez ensemble pour imiter les muscles et graisses, qui entrelardent le jambon ; puis après vous mettrez de la blanche par dessus pour contrefaire le lard, et du vert pour le dernier qui représentera le persil ; vous appuyerez et battrez de la main à chaque lict que mettrez afin de les incorporer et joindre ensemble, vos conserves estant encore un peu chaudes vous les couperez en forme de tranches de jambon, et les dresserez sur des assiette mettant une ou deux fueilles de laurier par dessus pour ayder à la tromperie.
Pour contrefaire des cervelats, prenez le reste du rouge qui sera dans vos escuelles, et y mettrez deux ou trois gouttes d'eau claire, ou de fleurs d'orenges, mêlez-y de la poudre de canelle battûe et passée bien fine, pour embrunir vostre couleur ; et ramasser les restes de vostre jambon, (ostant le vert), mettez le tout dans le poeslon, avec un peu d'eau que vous y verserez, n'en prenant que dans une cuilliere d'argent, peur d'en trop mettre, mais seulement pour décuire un peu le sucre vous mettrez le poeslon sur un petit feu pour eshauffer ces conserves et les incorporer ensemble en les mêlant avec la gasche, et afin qu'en les tirant du poeslon elles soient faciles à manier et former avec les mains en rond comme des saucissons ; pendant que le sucre sera encore chaud vous les trancherez par roësles, ou en long, et les dresserez sur des assiettes ainsi que les saucissons naturels, les entremêlant de fusilles de laurier pour mieux déguiser l'affaire.
Vous pourrez encore imiter mille gentillesses avec le sucre et toutes ces couleurs, en en faisant des pastes que vous mouslerez, et façonnerez à loisir, dautant qu'elles n'entrent point sur le feu.
Par exemple, pour contrefaire des rubans d'Angleterre de plusieurs couleurs : vous prendrez du sucre passé bien délié au tamis de soye ; et pour le rendre encore plus fin que celuy qui est pilé au mortier, c'est qu'il le faut broyer à sec sur le marbre, ainsi que les peintres font leurs couleurs ; estant passé, vous en mettrez sur une table bien nette, y melerez un peu de gomme tragacant, détrempé avec l'eau de fleurs d'orenges ou de rozes, et ferez une paste qui se puisse étendre sous le rouleau : vous diviserez cette paste en atant de morceaux que vous voudrez qu'il y ait de couleurs, lesquelles vous melerez avec vostre sucre chacune à part, et les étendrez avec le rouleau, les plus minces et ténues que vous pourrez ; vous trancherez des pastes par petites lanières bien déliées que joindrez proprement et promptement les unes aux autres, afin que l'humidité qui est dans le corps de la paste soude ces lanières, que diversifierez pour imiter les rubans : en suite de quoy, vous passerez légèrement le rouleau par-dessus pour les mieux joindre, puis vous les fermerez en nœuds ou galans, mettant des cartes repliées en rond pour soutenir les replis jusques à ce qu'ils soient secs, ce qui se fera en moins de deux heures.
Vous contreferez aussi les chiffres, et armes blasonnée de qui vous voudrez, en taillant cette paste avec le couteau, ou avec des mousles de fer blanc qu'aurez fait faire exprès ; et vous pourrez aussi imiter toutes sortes de marqueterie que vostre esprit vous suggérera. » Le Jardinier François : Des Conserves de Fruits, pages 293 à 298.
Monselet, dans un article de l'Evénement, en Janvier 1879, nous montre les bonbons du pauvre : "Dans cette classe viennent se ranger les bonbons naïfs - qui amènent naturellement le sous-genre des bonbons comiques.
Au premier rang brille le hanneton en chocolat - une idée de génie, et dont l'inventeur est resté inconnu ! Le cigare en chocolat, avec un papier de feu à l'une de ses extrémités, n'est pas non plus sans mérite. Le rouleau de pièces d'or ou de pièces de cinq francs a bien son charme".
Et moi qui croyais que ces paquets de cigares et de cigarettes en chocolat, ces résilles pleines de pièces de cinq franc enveloppées de papier d'or ou d'argent étaient nouvelles ! Elles ont plus de cent ans et se vendent toujours. Mais laissons continuer Monselet :
"Viennent ensuite les imitations de légumes et de fleurs : l'asperge à la tête verdâtre, le radis teinté de rose, la cerise reluisante. De degré en degré, nous tombons insensiblement jusqu'à la pipe en sucre - bonbon touchant, qui évoque l'image des petits enfants des faubourgs, aux regards avides, aux mains tendues, aux cheveux brouillés, chérubins du ruisseau !
Derrière le bonbon comique, je n'aperçois plus que le bonbon mystificateur - mais cette espèce doit avoir disparu. Imaginez : des dragées au chicotin ; des diablotins au jalap ; des pralines de manne ; des sucres de pomme en bois ; des fruits confits pleins de filasse ; des sacs remplis de souris ; des noix bourrées d'amidon ; et autres gentillesses tout au plus dignes d'un Roquelaure de sous-préfecture.
Je le répète, le bonbon mystificateur est mort." (Cité par Le Voleur, 17 janvier 1879, n° 1124).
Non seulement on n'a rien inventé dans la confiserie, mais même dans la filouterie : "Un de mes amis, se trouvant le 31 décembre dans un magasin de la rue des Lombards, entend un commis qui dit à un autre :
- A-t-on envoyé ce matin les 200 kilogrammes de marrons glacés chez...
Ici, le nom d'un confiseur en vogue.
C'est qu'en effet ce dernier, chez lequel la foule des badauds se précipite pour conquérir à prix d'or des produits abusivement renommés, ce confiseur en effigie fourre les marrons que lui fournit un fabricant du quartier Sébastopol dans des sacs aux couleurs de l'arc-en-ciel qui portent, gaufré en or, le nom en vogue, et vend un louis ce qui lui coûte cinquante sous.
Il fait ainsi une grosse fortune, en riant des naïfs qui se délectent des marrons glacés que leur préjugé leur fait paraître délicieux, et qu'ils rejetteraient bien loin s'ils savaient qu'ils proviennent de la plus pure rue des Lombards.
Le fait ne doit pas échapper à l'observation des préjugés et des ridicules du temps, et il est bon que la chronique, l'actualité de l'époque aidant, signale des abus non sans danger pour le budget de nos mondains. Il est vraiment par trop sot de payer follement le double ou le triple d'un prix raisonnable, pour avoir le plaisir de dire, en montrant l'objet qu'on porte ou le bonbon qu'on croque :
- Cela vient de chez X... ! " (Le Voleur, 17 Janvier 1879).
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M. Ménier, chocolatier.
« M. Ménier est mort. Je n’hésite pas une minute à déclarer que cet homme avait eu l'art d'élever le chocolat à la hauteur d'une institution.
M. Ménier avait la foi : de même qu'au toucher du roi Midas, tout se transformait en or, de même entre les mains de cet industriel tout puissant, tout devenait chocolat : la cassonade, la farine, les fèves, les pois, les haricots, les lentilles, les châtaignes et même le cacao. Faut-il avouer que, pour ma part je trouvais le sien exécrable ? N'empêche pas qu'il avait su l'imposer au public à force d'annonces et de volonté.
A ce propos une anecdote dans le Gaulois.
M. Ménier avait compris le premier, dans ses affaires commerciales, l'immense puissance de la publicité. On peut dire sans crainte que c'est à ses applications dans des proportions gigantesques qu'est dû, en grande partie, le succès sans pareil de son chocolat.
Il existe à ce sujet une légende qu'il faut reproduire sans y ajouter plus de foi qu'on n'en accorde aux légendes. On prétend qu'un jour, une énorme quantité de chocolat, fabriquée depuis un certain temps, se prit soudain à devenir presque entièrement blanc. Emotion considérable dans les ateliers. On rapporte immédiatement le fait à M. Ménier, qui devient perplexe. C'était une perte de 3 ou 4 millions si ce chocolat ne se vendait pas. Comment arriver à l'écouler? Le moyen semblait difficile, si difficile que M. Ménier ne trouvait pas.
La suite de la légende affirme que M. Rigollot, qui faisait alors partie de la maison, vint trouver son directeur et lui demanda 100.000 francs en échange du moyen vainement cherché. Le négociant résista longtemps, hésitant devant la dépense. Enfin il finit par céder et donna la somme.
"Inscrivez carrément sur vos affiches : Le chocolat Ménier est le seul qui blanchisse en vieillissant".
C'était un trait de génie : la provision s'écoula comme par enchantement, et l'on affirme même que certaines bonnes femmes, en achetant du chocolat, le cassaient par le milieu, et si elles ne le trouvaient pas blanc, le rapportaient, disant que ce n’était pas du véritable Ménier. C'est des 100.000 francs ainsi acquis, ajoute la légende, que date la fortune de M. Rigollot, qui, grâce à eux, put lancer ses sinapismes. Le chocolat père de la moutarde !
Qui s'y serait attendu ? » (Le Voleur, 25 février 1881, page 126).
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Maman Plaisir, marchande d’oublies.
"Celle qui vient de mourir ignorée dans une des salles de l'hôpital de la Charité et que l'on a enterrée hier, au milieu d'un très petit concours d'amis des anciens jours, n'était qu'une simple marchande de "plaisirs et d'oublies" bien connue de deux ou trois générations d'étudiants sous le nom de "Maman Plaisir".
Cette pauvre femme qui exerçait son modeste commerce exclusivement sur la rive gauche, depuis trente ans au moins, avait bien des titres à échapper à l'indifférence de ses contemporains.
Sa jeunesse avait été des plus agitées, peut-être même pourrait-on dire des plus romanesques, et ce n'était un secret pour personne qu'elle avait approché de très près certains personnages politiques de haute notoriété dont ces dernières années ont vu le déclin et la mort.
De ces aventures, il était resté à Maman Plaisir une tendance singulière à se mêler de politique; c'est ainsi que jusqu'à sa mort, elle avait tenu à sous-louer, dans un des cafés du quartier, plusieurs journaux qu'elle venait chercher régulièrement et qu'elle dévorait avec conscience. De même, aux jours de fêtes nationales, elle tenait à ce que sa mise fut en harmonie avec les préoccupations du public et arborait un luxe inouï de couleurs patriotiques.
Luxe, avons-nous dit : le mot n'est pas exagéré, car Maman Plaisir avait conservé, du temps des splendeurs passées, des robes et des dentelles d'un assez grand prix, et elle les utilisait de très originale façon.
Le cri par lequel elle annonçait sa légère marchandise est resté légendaire. C'est elle, en effet, qui tout en faisant résonner sa claquette, modulait cette phrase typique :
- Régalez-vous, Mesdames, voilà le plaisir !
Et la faisait suivre immédiatement de ce répons :
- N'en mangez pas, Mesdames, ça fait mourir !
La pauvre femme, qui occupait en dernier lieu un bien modeste logement dans une maison de la rue des Canettes, près de Saint-Sulpice, venait de mener à bien, au prix de dures privations, l'éducation d'un petit-fils, pourvu aujourd'hui d'un bon et solide état.
"Maman Plaisir", de son vrai nom Veuve D... n'est plus maintenant, mais l'écho de son antienne mercantile résonnera longtemps encore dans les rues tortueuses, de plus en plus rares, du vieux Quartier Latin. (Le Voleur, 18 Avril 1879).
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Les Grilleurs de Marrons.
« Les grilleurs de marrons sont partout installés ; nous sommes bien en hiver, en plein hiver. On voit dès le matin leurs fourneaux, toujours allumés, orner la devanture des marchands de vin qui veulent bien, moyennant salaire, leur faire une petite place c'est-à-dire une niche. Le marchand de vin est la patrie adoptive du grilleur de marrons. C*est là qu'il a le client sous la main ; c'est là que la vente va le mieux ; aussi ne se décide-t-il à aller s'incruster à l'angle de quelque rue que lorsque les autres places lui font absolument défaut.
Beaucoup de personnes se figurent que les montagnes de l'Auvergne et de la Savoie nous envoient les grilleurs de marrons. C'est une grande erreur. Sauf quelques très rares exceptions, tous viennent de la Suisse, et chose singulière, presque tous appartiennent au même canton, celui du Tessin, qui avoisine les frontières d’Italie. Ils sont donc obligés, pour venir à Paris, de traverser toute la Suisse et une partie de la France.
Le nombre des grilleurs de marrons à Paris est de 1.000 à 1.100. Presque tous ont leurs places louées à l'avance pour cinq ou six années. Ils les payent, non pas au mois, mais à la saison. Les prix de location varient entre 150 et 400 F. par saison. Cela dépend des quartiers. Les postes les plus recherchés, et les plus chers par conséquent, sont à l'angle des rues Notre Dame de Lorette et des Martyrs, à l'angle de la place Moncey et de la grande rue des Batignolles, à l'angle du boulevard et de la rue de Belleville etc.
Là ils font des affaires d'or !
Il y a une vingtaine d'années, les locations de ces sortes de niches étaient d'un prix bien moins élevé, mais elles ont renchéri de plus d'un tiers par suite du nombre toujours croissant de ces industriels et de la concurrence qu'ils se font. Et dire qu'il y a cinquante ans, les grilleurs de marrons parcouraient les rues en annonçant leur marchandise par le bruit d'une plaquette. C'était le bon temps... pour les amateurs de ce fruit, car il coûtait moitié moins qu'aujourd’hui.
La recette moyenne des grilleurs de marrons est de 4 F. par jour environ, ce qui donne pour 1.000 grilleurs 4.000 F. soit 120.000 F. par mois et 480.000 F. pour les mois dont se compose la saison.
Pour tenir leurs fourneaux allumés depuis 10 h. du matin jusqu'à minuit, les grilleurs de marrons dépensent 90 centimes de combustible, plus, le soir, une chandelle de 15 centimes. Ajoutez à cela leur entretien, leurs frais de voyage et vous verrez que ce n'est qu'à force d'ordre, d'économie et de privations que certains d'entre eux peuvent parvenir à amasser un petit pécule.
Les grilleurs de marrons achètent leur marchandise par sacs aux négociants en gros des environs des Halles qui font spécialement ce genre de commerce. Plusieurs grilleurs même, connus par leur honorabilité, y trouvent un crédit qui atteint parfois des sommes relativement importantes.
Il y a certaines contrées renommées par la qualité supérieure des marrons qu'elles produisent ; on cite les environs de Lyon et d'Agen, une portion des Pyrénées, la Savoie et le Piémont. Mais les marrons, justement estimés pour leur volume et leur farine, sont ceux que fournissent les châtaigniers gigantesques des montagnes avoisinant la mer, dans le Var. Une autre localité du même département, la Garde-Freynet, en fournit également d'excellents. Les uns et les autres ne sont connus dans le commerce que sous le nom de marrons du Luc.
C'est vers Marseille qu'on les dirige par milliers de sacs, et c'est de là qu'on les expédie un peu partout. L'embarquement se fait dans les petits ports de Saint-Raphaël et de Saint-Nazaire par quantités si considérables que les marrons du Luc sont, pour le cabotage de Marseille, une importante ressource.
Nous venons de parler de l'énormité du châtaignier sur les montagnes du Var. Cet arbre est susceptible de développements prodigieux, et il vit dit-on, pendant plus de 300 ans. Il y a sur le mont Etna un châtaignier connu de tous les touristes, et qui est probablement le plus gros qui existe dans le monde : cent cavaliers et leurs montures peuvent s'abriter sous son ombrage.
Quand je songe que j'ai peut-être mangé un marron provenant de cet arbre... Heureux marron ! » Le Voleur, 9 Décembre 1881, page 780 qui cite La Ville de Paris.
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LE MEDECIN AUX COTELETTES.
"Ce n'est pas, vous pouvez m'en croire, à fricoter des diners à 15 sous que le médecin aux côtelettes, dont parle l'Union Médicale, aurait eu le talent d'amasser un joli magot de 25 ou 30.000 livres de revenu. C'est un cas particulièrement curieux que celui de ce praticien aux aspirations ambitieuses qui le premier a eu l'idée de mettre, comme vous allez voir ci-après, la politique en bouteille.
"Qui ne se souvient" dit l'Union "du médecin aux côtelettes qui avait fait à Paris une très-belle fortune ? Vous vous le rappelez, n'est-ce pas, ce médecin qui n'était pas bête, ma foi, qui avait même concouru avec un certain succès pour l'agrégation à la Faculté de Paris, et dont les écrits n'étaient pas sans mérite ? Ce médecin, vous le savez ne traitait ses malades qu'avec des côtelettes de mouton et du vin de Cahors. Or cet étrange thérapeute était né à Cahors, et comme sa consultation était très fréquentée, les propriétaires des vignobles de Cahors épuisaient rapidement et fructueusement leur récolte.
Or, voilà que l'ambition politique vint piquer le médecin aux côtelettes. Un siège de député devint vacant à la Chambre dans l’arrondissement de Cahors. "Chers compatriotes, dit-il aux électeurs cahurcins, depuis combien d'années fais-je couler le Pactole dans vos murs ? Eh bien, ne me devez-vous pas un peu de reconnaissance ? Je vous prie de voter pour moi aux élections prochaines, et j'espère vous trouver au jour du scrutin."
Hélas ! Au jour du scrutin, les électeurs de Cahors furent ingrats. Le médecin aux côtelettes ne fut pas élu, ce que voyant il change sa formule, et ne prescrivit plus que du vin de Bordeaux.
Et voilà pourquoi le vin de Cahors, qui est d'ailleurs un excellent vin, à condition qu'il ait quinze ou vingt ans de bouteille, a prodigieusement baissé dans la consommation parisienne.
A quoi tiennent les grandeurs et les décadences !" (Le Voleur, 12 Décembre 1879).
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LES DELICES DE LA CAMPAGNE.
Les "délices de la Campagne" est un livre de cuisine paru dans les années 1680. L’auteur, à la fin de son "Epistre aux Dames", à qui il dédie son ouvrage, signe R.D.C.D.W.B.D.N. que Barbier, dans son dictionnaire des Anonymes, explique par une suite d'initiales à l'envers : N.D.B.W.D.C.D.R. désignerait Nicolas de Bonnefons, Valet de chambre du Roi. Moi, je veux bien. C'est assez dans le genre, effectivement, de ce type de rébus XVIIe. Je n'ai pas trouvé Nicolas de Bonnefons, pourtant qui devrait être connu, dans les Historiettes de Tallemant des Réaux. Cela ne veut pas dire qu'il n'ait pas existé : cela veut dire juste que Tallemant n'a pas trouvé d'historiette assez croustilleuse à raconter sur lui.
Quoiqu'il en soit, l'auteur, qui se cache sous ces initiales mystérieuses, avoue lui-même avoir commis un autre succulent ouvrage : le "Jardinier François" - "qui enseigne à cultiver les arbres et herbes potagères, avec la manière de conserver les fruits et faire toutes sortes de confitures, conserves et massepains. 5e édition revue par l'autheur. Amsterdam, Jean Blaeu ou Schmith, 1654. »
Des titres si prometteurs vous mettent l'eau à la bouche. Messire Nicolas de Bonnefons a le style naïf et gracieux des bourgeois de la célèbre chanson des Bourgeois de Châtres, qui portent un vrai Noël d'époque à l'enfançon dans sa crèche. Pour nous, ces frairies louis-quatorzième sont assez étonnantes : nous ne mangeons plus comme ça. C'est notre cuisine, et ce n'est pourtant pas la nôtre, comme quand nous regardons dans leurs cadres dorés et surdorés ces échevins, ces membres des Parlements et ces bourgeois à perruques, rabats et cannes à pommeaux d'agate. Notre cuisine est passée par les raffinements du XVIIIe et les solidités bourgeoises du XIXe. Nous n'arrosons plus toutes nos viandes de jus de citron ou d'oranges, nous ne fourrons pas partout de la cannelle et de la noix muscade. Et pourtant ! C'est bien de nos plats familiers qu'il s'agit, mais quelle façon incongrue, aux limites de la barbarie, de les pratiquer ! Un bon point, cependant ; ayant voulu faire la sauce au jus de citron, la pimentade telle que la décrivent le chirurgien et le Père Labat pour assaisonner le barbacon, le boucan de poisson et de viande, on a la surprise de tomber sur un plat pas barbare du tout, haut en couleurs ! Essayez donc les quelques recettes relevées dans Nicolas de Bonnefons - et si vous ne voulez les essayer, lisez les toujours ; le style en est cocasse, et les conclusions, admirables.
« EPISTRE AUX DAMES.
Mes Dames,
J'ay toujours tant fait d’estime de votre vertu, qui est particulièrement louable, à cause de l'habitude que vous vous estes acquise à persévérer dans le travail, réglant si bien vostre famille, que vous faites admirer par tout la conduite de vostre gouvernement ; et je suis si fort porté à vous honorer, quand je considère que c'est par votre oeconomie que les maisons, non seulement subsistent dans la splendeur de leur lustre, mais le bon ordre que vous y apportez : Car véritablement Messieurs vos maris se peineroient en vain pour acquérir beaucoup de biens, si vous ne les dépensiez utilement, et ne les mettiez à profit. Les exemples des DAMES MESNAGERES, auprès de celles qui ne peuvent, ou ne veulent pas s'ingérer de conduire leur ménages, nous font assez discerner le prix des unes et des autres ; c'est pour vous que le Sage, inspiré du Saint-Esprit, a proféré de si beaux Eloges, vous appelant femmes fortes ; et il ne s'est pas contenté de vous nommer de ce beau nom de Fortes, qui comprend toutes les bonnes qualités d'une femme Héroïque, il a voulu d’abondant particulariser, sur quantité de vos bonnes actions, témoignant par beaucoup de louanges l'estime qu'il fait de celles qui méritent ce beau titre d'honneur. C'est pourquoy, persuadé par un si grand témoin, et aussi par l'inclination toute particulière qui me fait vous chérir et honorer à la distinction des autres, moins courageuses, j'ay estimé qu'il estoit plus que raisonnable de contribuer à vos soins de tout mon pouvoir ; et autant que la curiosité insatiable que j'ay eu toute ma vie, de savoir un peu de tout m'a pu apporter de connoissance, Je vous ay dréssé ce petit Livret, qui s'intitule LES DELICES DE LA CAMPAGNE, à cause que de tous les sens, il n'y en a point de plus délicieux, ny de plus nécessaire à la vie que celuy du goust, et ou il se trouve plus de différentes opinions, ny qui soit susceptible de plus de diversitez. Vous y verrez tout ce que l'oeconomie, le ménagement et l'espargne peuvent souhaiter, en joignant l'usage de tout ce qui se recueille à la Campagne à la volupté du goust : J'ay cru que ce seroit une trop grande indiscrétion à moy, si vous ayant dédié nostre JARDINIER FRANCOIS je ne vous en offrois la suite. Il a esté si bien receu sous vostre faveur, qu'en deux ans et demy nous avons estez obligez de le réimprimer pour la sixiesme fois. Continuez-moy (s'il vous plaist) vostre amitié en approuvant ce second petit oeuvre, et l'estimant ainsy que vous avez fait le premier, vous augmenterez de plus en plus mon courage à vous donner mes soins et mes veilles, pour vous en préparer un troisième que j'espère qui ne vous sera pas moins utile que ces deux premiers ; recevez donc favorablement le présent que je vous fais de ce que j'ay veu pratiquer par les plus expérimentez de nos François, et pardonnez aux manquemens que vous y remarquerez, quoyque j'y aye apporté toute la curiosité possible à les éviter, excusant les défauts de celuy qui a toujours estimé pour de grandissimes faveurs toutes les occasions qui se sont présentées de vous faire connoitre la forte passion qu'il a toujours eue d'estre estimé
MES DAMES
Vostre tres-obéissant serviteur
R.D.C. D.W. B.D.N.
LES DELICES DE LA CAMPAGNE, suite du JARDINIER FRANCOIS, ou est enseigné à préparer pour l'usage de la vie, tout ce qui croist sur la terre et dans les eaux. Dédié aux Dames Mesnagéres. Sixième edition, augmentée par l'Autheur. A Paris, chez NICOLAS LE GRAS, au troisième Pillier de la Grand Salle du Palais, à L couronnée. M.D.C. LXXXIV (1684) Avec Permission.
De la Volaille de Court.
Par les volailles de court, nous entendons parler des coqs, poules, chapons et poulets ordinaires, ou communs, dans la production desquels la nature paroist si féconde que l’on ne peut assez admirer la libéralité de son Autheur, qui nous départ avec telle abondance cette nourriture si exquise, tant pour son goust excellent que pour sa délicatesse et bonté naturelle, propre non seulement à ceux qui sont en santé, mais encore si nécessaire aux malades qu'il semble que sans les bouillons à volaille ils ne peuvent se rétablir et se fortifier.
Les plus petits que l'on appelle poulets de grain, seront saignez à la gorge, échaudez, plumez et vuidez entièrement ; puis on les refait à l'eau chaude pour plus de propreté, mais elle emporte avec soy beaucoup de bon goust : c'est pourquoy si l'on se veut donner la patience de les plumer à sec, et les refaire sur les charbons, ou sur le gril, ils seront beaucoup meilleurs qu'échaudez et refaits à l'eau. Si l'on les laissoit aussi mortifier d'un jour, la chair en seroit bien plus courte. Quand ils seront refroidis on les essuyera bien, puis on les lardera ou couvrira de bardes pour les mettre rostir, les ayant embrochez à une petite brochette de bois en long pour les déguiser en perdreaux, ou en travers, pour ressembler aux cailles, mettant par dessus chaque barde une füeille de vigne, puis on lie cette brochette de bois à la grande broche de fer pour les cuire promptement au feu clair, car cette viande a si peu d'épaisseur qu'il suffit de faire prendre couleur au lard pour estre cuite à sa perfection, autrement ces petits poulets ne feroient que sécher et perdroient toute leur substance.
Le vinaigre commun et rosat, le verjus de grain, et le commun, c'est la seule sauce qui leur convient le mieux.
Quand ils seront plus forts, on les pourra mettre en potages, les ayant tuez, echaudez et vuidez, puis on les troussera, c'est à dire on leur couppera le bout des doigts, et on passera l'un des pieds par dedans le bas du bec, pour leur coucher la teste le long de la cuisse, et après on enfermera les deux pieds ou jambes dans l'ouverture du poulet par où on l'a vuidé, ou bien on donnera un coup de couteau dans la peau qui est entre les jambes, et on y passera le pied ayant couppé le nerf qui est dérrière le genoüil, afin que la jambe obéisse mieux, puis on leur tournera les aisles, ce qu'étant fait, on les mettra dans un pot à part, que l'on emplira du bouillon du grand pot, qui doit nourrir ou fournir à tous les potages, prenant garde de ne les cuire qu'autant qu'ils en auront de besoin, à cause de leur grande délicatesse. Vous les servirez toujours avec les herbages les plus nouveaux, comme asperges, pois, laictuës, chicorées et autres, selon la saison, que vous ferez aussi cuire à part, les préparant ainsi que j'ay dit en leur lieu.
Si vous y voulez mettre un jaune d'œuf délayé avec un peu de verjus et de son mesme bouillon, puis quand on voudra dresser le potage, cuire un peu ce jaune d'œuf, en tournant toujours de crainte qu'il ne se caillotte, et le verser par dessus, cela le rendra plus lié ou épais.
Si vous les voulez au laict d'amandes, il en faudra battre au mortier de marbre avec un peu de bouillon au lieu d'eau rose, puis les passer à travers l'estamine en frottant avec le dos de la cueillière, et y versant du boüillon pour les aider à passer, n'y mettant rien que le sel pour tout assaisonnement, et si vostre potage estant dréssé, vous y semez des pistaches pelées, elles l'embelliront de beaucoup.
Les poules et chappons estant préparez comme les poulets, seront aussi mis en potages de santé, ou au ris ; au laict d'amandes, aux porreaux, aux racines de persil, cardes et autres herbages du jardin, toutes préparées comme j'ay dit : mais à ces vieilles volailles il leur faudra peler l'écaille des jambes, les grillant un peu sur les charbons, ou à la flamme du feu pour la lever avec facilité.
Si vous les voulez farcir, il faudra fourer dans l'ouverture dérrière le col (par où vous aurez tiré la poche) une brochette de bois non trop pointue, et séparer du mieux que vous pourrez la peau d'avec les chairs, la remplir de farce telle que j'ay dit aux choux, la faisant couler et passer par tout où vous voudrez, puis manier et arondir la volaille, la liant avec du fil ou de la ficelle un ou deux tours, en croisant par dessous et par dessus, de crainte qu'elle ne se dépèce dans le pot, laquelle ficelle vous osterez en couchant votre volaille sur le pain auparavant que de dresser le boüillon.
L'on en désosse aussi entièrement, qui est que l'on écorche la volaille sans luy rompre la peau, et on la remplit de farce comme dessus, y mettant aussi les chairs crues qu'en aurez tirées en la désossant, puis on recout l'ouverture avec une éguillée de fil, et on la lie et emporte pour y mettre le boüillon du grand pot et la faire cuire.
Son potage fait au fromage, qu'aucuns appellent à la Jacobine, sera fait en prenant un pain à la mode chapelé, que vous ouvrirez, et en osterez la mie, puis ferez sécher les deux croustes dans le four, ou devant le feu ; quand elles auront pris une couleur rousse, vous les mettrez dans un plat d'argent et les applatirez et écacherez ; mettant le costé de la mie au dessous, puis poserez le bassin sur les charbons ardens, et quand il sera bien chaud, vous arrouserez le pain avec de vostre meilleur boüillon de santé, dans lequel il n'y aura point encore d'herbes ny de pois ; et ferez mitonner ce pain, l'enrosant par fois, et le faisant un peu attacher au bassin pour prendre le goust ; puis y mettrez un lit de fromage de gruière ou de Hollande du plus doux et du plus nouveau, qui aura esté râpé avec une égrugeoire, et par dessus un second lict de blanc de volaille rostie hachée bien menue, et enroser derechef pour faire fondre le fromage et mitonner tout ensemble. Quand vous le servirez, vous l'ornerez avec des tranches de citron, et quelques grains de grenades par dessus.
Autrement, et avec moins de peine, vous trancherez un pain mollet ou de Gonesse sans estre salé, et en mettrez un lict dans un plat d'argent ; puis un lict de fromage par tranches ; puis un second lict de pain, et un second lict de fromage ; et par dessus des chairs de volaille rostie et hachée ; puis vous parerez le potage de jambes, bouts d'aisles, col et teste, avec le dos où tiendra le croupion, et par dessus tout, y mettrez encore des tranches de fromage, puis emplirez le plat de boüillon et le ferez mitonner, l’ornant comme le précédent.
La fricassée de poulets se fait ordinairement à la haste ; c'est pourquoy je vous veux enseigner la manière la plus prompte, qui est d'arracher la teste des poulets, les jettant à mesure dans un seau d'eau fraische ; puis les écorcher sans plumer, les fendre par le dos, pour oster tous les dedans, les laver et coupper en quartiers, battant chaque morceau avec le plat du gros couteau, tant pour rendre la chair plus courte que pour casser les os. Pendant lequel temps une autre personne tiendra la poësle sur le feu, dans laquelle il y aura de l'eau, du boeure ou lard, et du sel ce qu'il en faut raisonnablement ; puis quand le boüillon commencera à s'élever, vous jetterez vos poulets dedans, et les assaisonnerez d'espices, ciboule et autres ingrédiens convenables.
Pour mortifier promptement des poulets, aucuns les jettent dans l'eau fraîche aussi-tost qu'ils sont tuez, autres les enterrent quelque temps, autres les pendent à un figuier, autres encore leur tirent le col sans l'arracher, mais le dénouent seulement et rompent les veines proches de la teste, les pendant par les pieds, afin que tout le sang s'amasse en un caillot que l'on ostera, puis on les accomodera à l'ordinaire ; il y a encore beaucoup d'autres inventions d'attendrir, vous assayerez la plus facile.
Pour faire une excellente fricassée, prenez des poulets mortifiés que vous coupperez par quartiers, et laverez bien ; puis les passez par la poësle dans du lard fondu, ou du moins du boeure pour leur faire prendre goust de friture. Après quoy vous y mettrez du bouillon du pot sans herbes, ou a deffaut de l'eau, du boeure ou du lard billeté, avec du sel, les épices et autres ingrédiens, comme vin blanc, verjus de grain ou ordinaire, ciboules, herbes fines, peau d' orange ou citron, et ce que vous jugerez y estre excellent, ne futce qu'un peu de champignons ou semblables, et quand ils seront cuits, vous y pourrez ajouter les jaunes d'œufs délayez au verjus, ou si vous voulez de la cresme, ne lui donnant qu'un petit bouillon, et retournant toujours de peur que ce broüet ne se caillotte. La füeille de persil sert de bel ornement et de bon goust aux fricassées.
La marinade de poulets se fait en les fendant par le dos, après qu'ils auront esté vuidez et bien lavez, puis on les ouvrira et applatira, les battant deux ou trois coups du plat du gros couteau pour un peu corrompre la chair et les os. Ce qu'estant fait, vous les mettrez dans un plat tremper avec le vin blanc, vinaigre, verjus, épices, sel, orenge, citron, ciboules, ou oignon, et un peu de fines herbes, les retournant par fois pour mieux leur faire prendre le goust, puis on les égouttera, et on les frira dans le saindoux lard ou boeure, si vous les voulez sécher avec de la farine, ou les tremper dans la paste à beignets bien claire, ils prendront une couleur fort agréable, et pour les servir, le jus d'orenge est la vraye sauce, si ce n'est que vous vouliez faire cuire un peu de la sauce dans laquelle ils auront trempé auparavant que de les frire.
L'on accomode des chappons au courboüillon ainsi que je l'enseigneray sy-aprés à l'article des poulets d'Inde.
Les poulets, hestoudeaux, poulardes, poules, coquastres, et chappons, se lardent et bardent pour estre rostis à la broche.
On les rostit aussi sans lard, en les boeurant, et leur mettant un oignon picqué de deux ou trois clouds de girofle dans le corps, avec un peu de sel et de poivre. Sur la fin de la cuisson, on les poudre de miex de pain rassis, et de sel menu.
Si vous voulez promptement cuire un chappon, il faut lier un morceau de lard au bout d'un baston, puis y mettre le feu, et laisser tomber les gouttes toutes flambantes sur le chappon ; à mesure que l'on le tourne, elles perceront les chairs jusques aux os, et le cuiront en moins de rien.
Les sauces se feront avec l'eau, le sel, le verjus et l'orenge ; ce sont les meilleures de toutes.
A un chappon tout sortant de la broche, faites luy des taillades tout le long du corps, et le poudrez de sel, puis y épurez le jus de deux bonnes orenges, et mettez une assiette dessus, et pressez bien pour faire sortir le jus du chappon, puis reprenez le jus avec la cüeillière et arrousez-le, le repressant et arrousant par deux ou trois fois : si vous y voulez mettre un petit jus d'ail pilé avec eau, et ne point remettre chauffer la sauce, à cause que l'aille chauffé est désagréable, je crois qu'en le mangeant vous avouerez que c'est un excellent ragoust. » (Livre III, Pages 183 à 193).
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LES FAIENCERIES D’ONNAING.
Dans les années 1960-70, âge d'or de la brocante, on trouvait dans le Tarn et l'Aude, au marché aux puces de la Place de l'Albinque à Castres, à celui de la place Voltaire à Narbonne, au Champ de Mars à Béziers et chez des dizaines d'antiquaires, chineurs, ramasseurs de métaux et de vieux papiers... de ravissantes cruches vernissées à décors floraux très Modern Style, très 1900, mais populaires. Personne n'en voulait et on pouvait les ramasser pour 5 ou 10 francs, quand elles atteignaient 15 francs c'était le bout du monde. Elles valent actuellement vingt fois plus et ont été ramassées par des antiquaires étrangers avisés, qui les ont expédiées par pleines caisses dans leurs pays, la Hollande pour ne pas le nommer. Or ces cruches, dont on voyait au moins un exemplaire sur l'étagère du buffet à dressoir de chaque ferme, de chaque maison villageoise, ont une histoire : les femmes les appelaient des cafetières et s'en servaient effectivement pour servir le café, bien que leur intérieur rouge vineux prouvât de toute évidence qu'elles avaient été faites pour contenir du vin. Dans mon enfance, une vingtaine d'années plus tôt, je voyais de ces cruches un peu partout dans les maisons d'Escoussens, de Teyssode, de Navés ou de Viviers les Montagnes - puis au cours des successions les gens de la génération de mes parents, nés vers 1900-1910 et qui les avaient aussi toujours vues chez eux, s'en débarrassaient comme de "vieilleries".
Tel n'était pas mon avis, car ces objets familiers, par la richesse de leurs décors et de leurs couleurs, m'avaient toujours enchanté. Je me mis donc à les collectionner - non seulement les cafetières, mais les cache-pots, les jardinières : certaines, comme les pots en forme d'iris qui flanquaient une pendule, sur la cheminée de la maison Decoux, à Labruguière, étaient extraordinaires. Elles portaient encore quelquefois l'étiquette d'un marchand de faïence et de porcelaine de Castres ou d'Albi, mais leur vraie marque était un demi-cercle avec un point au centre, flanqué de quatre rayons, avec un numéro en dessous. Certains objets portaient en toutes lettres le nom de la faïencerie : Onnaing. (Voir dessin). Un jour de mai 1965, j'écrivis à la mairie de cette petite ville près de Valenciennes pour savoir si la faïencerie d'Onnaing existait encore. "Elle n'existe plus" me répondit le maire, "mais vous pourriez vous mettre en rapport avec Monsieur Battaire Fernand rue Jules Ferry n° 12, dernier dépositaire des archives de cette maison". Ce que je fis, et peu de temps après, suite à une seconde lettre, je reçus les éclaircissements que voici :
« Onnaing le 18 Juin 1965
Monsieur,
Suite à votre lettre du 4 courant, je m'excuse tout d'abord d’avoir tardé à vous répondre.
Je ne possède pas les archives de la Faïencerie d'Onnaing, ayant quitté cette société deux ans avant la fin de la liquidation.
Etant le seul ancien employé sur place, la mairie d'Onnaing m'a demandé et remis les livres du personnel pour la question retraite et renseignements concernant les anciens ouvriers de cette usine.
Je vais tâcher de répondre à votre lettre en vous renseignant au mieux.
L'Industrie Céramique (Faïence et Porcelaine) de la région Valenciennes-Saint Amand date du XVIe siècle.
La Faïencerie d'Onnaing fut fondée en 1821, et débuta par une poterie cuisant rouge et une argile de la région recouverte d'un émail stannifère.
Vers 1851 on fabriqua une faïence plus fine cuisant blanc et recouverte d'un émail transparent et en s'orientant vers la vaisselle utilitaire, puis au fil des années les services de table, de toilette etc, articles sanitaires, carreaux de revêtement.
La Majolique, qui était une fabrication secondaire doit dater vers 1884, et qui a été presque abandonnée après la guerre 14-18, la clientèle ne s'intéressant plus à ce genre, prix sans doute trop élevé et préférant les émaux unicolores.
La vente de ces articles en majolique avait surtout lieu dans le Midi de la France et Paris.
Je ne possède qu'un tarif, pas de catalogue ; je ne puis m'en démunir, je vous joins une liste des articles en majolique qui sont sur ce tarif et je pense que cette liste pourra vous être utile.
Je suis toujours à votre disposition pour vous être agréable et vous renseigner de mon mieux.
La Faïencerie d'Onnaing a été occupée et détruite systématiquement par les Allemands pendant la guerre 1914-1918. Elle a repris sa fabrication le 17 Mai 1921 et a fermé définitivement le 8 Février 1938.
L'établissement avait une superficie de 6 hectares et un personnel de 450 à 500 ouvriers.
Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de mes sentiments distingués
F. Battaire
C'est bien dommage que je n'ai retrouvé que quelques feuillets d'un ancien catalogue des articles en majolique. »
Ports-Sujets.
Les sujets des canettes en majolique sont tout à fait typiques de la Belle Epoque - et bien que la faïencerie ait été détruite pendant la guerre 1914-18, les moules durent être conservés, puisqu'on 1929 la nouvelle fabrique proposait encore des sujets aussi désuets que Poincaré ou le Réserviste, alors complètement passés de mode. Le Réserviste en capote bleue, pantalon et képi rouge, cartouchières noires, porte comme on sait un uniforme qui vit ses derniers beaux jours à la Victoire de la Marne : car dès l'année suivante, 1915, on en était déjà au beaucoup moins voyant bleu-horizon. Poincaré (Raymond) est le président de la République de la même guerre : son septennat va de 1913 à 1920. Déroulède, lui, est le Président de la Ligue des Patriotes (1846-1914), auteur de « poèmes » patriotiques difficilement supportables aujourd'hui par leur creux et leur enflure. Ces quelques personnages historiques permettent de bien dater la production d'Onnaing : la grande vogue dut être dans les années précédant la première guerre mondiale. Déroulède et Ferrer, dont le rapprochement ne manque pas de saveur, car Francisco Ferrer fut un anarchiste espagnol fusillé dans les fossés de Mojuich (la rue qui passe devant l'église Saint Jacques de Villegoudou fut baptisée de son nom pour faire pièce, à l'époque, aux "réacs" - mais Ferrer est complètement oublié et tout le monde à Castres continue à dire "rue Saint-Jacques") - Déroulède et Ferrer furent donc, nous dit M. Battaire, "peu vendus". Probablement ne disaient-ils rien, mais alors rien du tout, aux bonnes femmes de l'Albinque, de Graulhet ou de Gaillac qui se payaient une cafetière pour se faire plaisir au cours de quelque foire. Il est remarquable que si l'on trouve encore, dans les canettes en majolique, un moine ventripotent en robe de bure, sujet conventionnel s'il en fut dans la faïence depuis le XVIe siècle, on n'y relève aucun personnage féminin.
Quant au député, toujours de circonstance avec sa barbe en collier et sa bourse d'or à la main, il date de l'heureuse époque où l'on appelait un chat un chat et où l'on pouvait nommer sans crainte ces personnages des termes appropriés de "chéquards" et de "vendus".
Par contre, plusieurs animaux dans ces pots ou canettes à sujets : et d'abord le fameux hôtelier qu'on appelait aussi cochon-sommelier. Il dut avoir un franc succès, car on le rencontrait à de multiples exemplaires, avec son teint brun, la serviette blanche sur le bras et le bonnet triomphalement posé sur la hure. Cet Hôtelier était suivi de près par un Cochon, rose, couronné de feuilles de laurier vertes, qui portait en sautoir, au bout d'un ruban lie-de-vin, un jambon appétissant. Une de ces canettes est un Canard, aux tons ravissants de bleu-vert et de jaune, qui sort d'un amas de feuilles de roseaux froissées. Il est accompagné d'un Coq Gaulois, lui aussi très populaire, qu'on trouve souvent le bec cassé, et qui, sur un cartouche chantourné, porte l'inscription "Chante Clair pour la France" - inscription d'un patriotisme bon enfant qui avec les multiples cruches "Jeanne d'Arc" sont typiques de cette lointaine avant-première Guerre.
Les Ports-Sujets, c'est-à-dire les véritables sculptures dans le genre des rhytons grecs antiques, ne sont pas très nombreux dans la production d'Onnaing en 1900-19174 : douze en tout. Beaucoup plus conséquente est la gamme des pots-canettes à reliefs qui, tout en gardant des formes de cruches très 1900, sut, avec des couleurs vives et raffinées à la fois, des sujets plaisants et champêtres, conquérir la clientèle féminine à qui elle était destinée.
Pots-canettes à reliefs.
M. Battaire a retrouvé le nom et le numéro de 63 de ces pots, mais il est certain qu'il y en eût bien d'autres : j'ai eu par exemple une jolie cruche à décor Louis XVI à Perlette, aux tons ravissant dont je n'ai pas retrouvé le numéro sur sa liste. "Il y avait bien d'autre articles en majolique" nous écrivait M. Battaire : "assiettes plates à reliefs, assiettes d'artichauts, asperges. Beurriers, cendriers, chandelier coquetiers, cornets, drageoirs, jouets variés, plats-asperges, gibier, huîtres, porte-bouquets, porte-pipes. Pots à tabac variés, services de fumeurs, suspensions pour fleurs, porte-parapluies, tirelires, encriers, cendriers"... etc.
Comme cette petite étude n'a pas la prétention d'être exhaustive, je donne in extenso la liste des objets en majolique et les 4 prospectus de vente que m'a envoyé M. Battaire.
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« Monsieur le Maire d'Onnaing
ONNAING (Nord).
28 mai 1965.
Monsieur,
Collectionnant diverses pièces de faïence comme des cruches décorées de sujets d'animaux, de fleurs, des cache-pots et jardinières etc, d'il y a soixante ans, auriez vous l'amabilité de me renseigner sur ce sujet : La Faïencerie d’Onnaing, dont mes objets portent la marque de fabrique, existe-t-elle encore ? Dans ce cas, pourriez vous m'envoyer son adresse? Je cherche en effet un vieux catalogue de cette faïencerie, s'il s'en trouve encore. Dans le cas contraire, pourriez vous me faire savoir à peu près à quelle époque cette faïencerie a cessé son activité?
En espérant que ces questions ne vous demanderont pas trop grand travail, je vous prie d'agréer, Monsieur, avec mes remerciements, mes plus sincères salutations
REPONSE:
La Faïencerie d'ONNAING n'existe plus, je crois cependant que vous pourriez vous mettre en rapport avec monsieur BATTAIRE domicilié à Onnaing rue Jules Ferry n° 12, dernier dépositaire des Archives de cette maison.
Sentiments très distingués
Le MAIRE
Monsieur Fernand BATTAlRE
12 rue Jules Ferry
ONNAIN G (Nord).
Monsieur,
La mairie d'Onnaing ayant eu l'amabilité de me communiquer votre adresse comme dernier dépositaire des archives de la Faïencerie d’ Onnaing, pourriez-vous me donner quelques renseignements sur cette fabrique? Je collectionne en effet ses productions, qu'on trouve encore à un certain nombre d'exemplaires dans des fermes du Midi, des salles des Ventes, chez les antiquaires... aimant beaucoup ces faïences populaires, je recherche par exemple les cruches décorées de sujets d'animaux (je possède le modèle n° 712 un canard, et le n° 737, un cochon sommelier) ou de motifs floraux (n° 468, des iris, n° 835 des fleurs champêtres)... etc. Je suppose qu'on ne trouve plus, à Onnaing même, de ces cruches ou de ces jardinières à motifs ; aussi me serait-il agréable d'en avoir la liste, si elle existe encore, ou mieux, un vieux catalogue de la faïencerie. Pourriez-vous aussi me faire savoir à quelle époque et dans quelles circonstances la faïencerie a cessé son activité? Car je considère que son rôle dans l'histoire de la céramique française du début du XXe siècle n'est pas négligeable ; et, qui sait ? Je me propose peut-être un jour d'en faire l'historique.
Dans l'attente de votre réponse et en m'excusant du dérangement qu’elle vous cause, je vous prie d'agréer, Monsieur, l'assurance de mes sentiments distingués.
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[NOTES EPARSES].
Ce que mangent les héros de romans.
Repas de vendanges à Mont-Saint-Jean 1957
L première communion de Maryse à Satourène 1944
Repas chez Paulette à Escoussens
A part la madeleine de Cambray, les héros de Proust vivent de l’air du temps
La merluche et la garbure du capitaine Fracasse
Les héros de Balzac
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Un restaurant parisien en 1815.
Cavaliè Mercer est un officier anglais qui vient de faire la campagne de Waterloo et qui se trouve en occupation dans le Paris de 1815. Il nous décrit longuement un déjeuner qu’il fit dans un restaurant des boulevards : "Je montai les escaliers de Hardi... p. 225 à... rue de Malte” (p. 227)
Huîtres p. 267
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L’Hermite de la Chaussée d’Antin : les Restaurateurs (13 février 1813) page 85 à 104. (10 pages dactylographiées).
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Les Tables d’Hôte parisiennes, p. 290, Le Livre des Cent-et-Un, 1832 par Louis Desnoyers.
Louis Desnoyers, le charmant auteur des Mésaventures de Jean-Paul Chopart, romantique bien méconnu de nos jours, nous donne dans le Livre des Cent-et-Un (1832) une savoureuse peinture en gradation des Tables d’Hôte parisiennes : Offenbach s'en souviendra, ou plutôt les librettistes de la Vie Parisienne (1857).
Poumiès de la Siboutie.
La pomme de terre : Petit Journal 1909 p. 58
Mercier 45 à 47. 134 à 138
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La Cuisine des boucaniers, comme si vous y étiez.
Le vrai Barbacoa, recette de la pimentade : Exmelin, 33
Le Boucan de Cochon (et non le cochon de boucan) : Labat 216 à 209
La Garbure de ma mère.
Chez Sansans.
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